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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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conversations à ce sujet. Ce n’est pas parce que des courtisans et de vieux écrivailleurs officiels les dénigrent qu’elles en sont moins belles ou moins fortes. Tous ces gens vous jugent sur des valeurs mondaines dont vous n’avez que faire !
    — Mellin de Saint-Gelais, qui est tant adulé par la Grande Sénéchale et par le Roi est allé jusqu’à oser me railler en leur présence ! remarqua sombrement Pierre. Ils ont ri de ses propos !
    — Peut-être, mais la princesse Marguerite a protesté, elle a plaidé ta cause, s’écria du Bellay. Michel de l’Hospital, ce conseiller au Parlement si savant et si sage dont elle a fait dernièrement son chancelier privé, te porte, lui aussi, aux nues. Ils ont tous deux donné l’exemple. Il y a maintenant à Paris tout un groupe de doctes lettrés qui ne jurent que par toi.
    — Sans doute, sans doute, reconnut Pierre. Mais j’ai encore beaucoup à prouver, bien des lecteurs à convaincre et mon pari à gagner !
    C’est ainsi que je l’aimais : ardent, lutteur, novateur fermement décidé à faire triompher sa cause, bretteur de l’Absolu !

10
    Celui que Mars horriblement enflamme
    Aille à la guerre…
    Ronsard.
     
    Du Bellay nous quitta après les fêtes du Carnaval.
    J’eus alors le sentiment qu’un piège délicieux risquait de se refermer sur notre couple confiné dans une intimité dont je percevais mieux chaque jour les dangers.
    De respectueux et tendre, l’amour de Pierre devenait, au fil des jours, plus pressant, plus avide.
    Notre second printemps en Vendômois exaspéra des sentiments que je ne parvenais plus que difficilement à endiguer.
    Sa passion l’inspirant, mon poète écrivait avec fièvre des sonnets qu’il m’apportait le lendemain même de leur composition. Les uns m’enchantaient, d’autres me troublaient, certains m’inquiétaient.
    Je ne puis nier que ces dons du cœur et de l’esprit ne m’aient été précieux malgré tout par leur beauté toujours plus affirmée. J’y retrouvais mon empreinte ainsi que mon influence dans la façon si nouvelle pour lui que Ronsard avait soudain adoptée d’y pétrarquiser. Mes ardents plaidoyers en faveur du poète italien qu’il avait si longtemps dédaigné portaient enfin leurs fruits. Cette conversion me causait autant de bonheur que de fierté.
    Mais il y avait un autre aspect de l’œuvre de Pierre que je voyais non sans confusion se développer sans cesse davantage. Comme Janus aux deux visages, l’un souriant et l’autre tragique, les poèmes de Ronsard traduisaient alternativement effusions et désirs.
    L’aspect fervent me convenait, l’aspect violemment charnel me gênait. J’acceptais avec joie et reconnaissance les marques de tendresse, l’appel à la volupté me tourmentait.
     
    Ha je voudrais, richement jaunissant,
    En pluie d’or goutte à goutte descendre
    Dans le giron de ma belle Cassandre,
    Lorsqu’en ses yeux le somme va glissant.
     
    Puis je voudrais, en toreau blanchissant
    Me transformer pour finement la prendre,
    Quand en avril par l’herbe la plus tendre
    Elle va fleur mille fleurs ravissant.
     
    Ha je voudrais pour alléger ma peine,
    Être un narcisse, et elle une fontaine,
    Pour m’y plonger une nuit à séjour.
     
    Et si voudrais que cette nuit encore
    Fût éternelle, et que jamais l’aurore
    D’un feu nouveau ne rallumât le jour.
     
    Des vers comme ceux-ci me remplissent encore de confusion. Il y a trente ans, ils me scandalisaient. Je faisais jurer à Pierre de ne jamais les publier.
    Dans nos rapports quotidiens, j’avais également à faire face tour à tour à chacun de ces styles…
    Je nous revois, durant ce printemps de 1551, assis l’un près de l’autre à même l’herbe épaisse qui pousse aux alentours de la fontaine proche de Courtiras, dont l’eau guérit les maux d’yeux. Pierre souffrait alors d’un catarrhe qui rendait blessante pour ses prunelles la lumière printanière dont l’éclat blanc l’irritait. Aussi avais-je entrepris de le soigner. À l’aide d’un linge fin et doux trempé dans l’eau bienfaisante, je bassinais ses paupières enflammées. Penchée sur lui, je ne pensais qu’à soulager son mal (enfin, presque…) lorsqu’il me saisit la taille à deux mains et me renversa sur le tapis herbu…
    En y songeant, je retrouve l’odeur fade des jeunes brins foulés, le goût de narcisse des lèvres qui violaient les miennes, le bruit liquide de la fontaine… Sans se soucier des

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