Les amours blessées
remords de conscience.
Il arrivait à Pierre de me conseiller sur le choix d’une parure, d’un ruban, de la couleur d’un voile ou sur l’arrangement de ma coiffure. Il aimait te voir brosser mes cheveux, les natter, les tresser de perles. Quand tu les relevais sur ma nuque, il baisait alors les frisons qui t’échappaient.
— Je possède déjà un anneau confectionné par vous à l’aide d’une mèche que vous vous étiez coupée à mon intention, me dit-il un matin. Je ne m’en déferai jamais… même si j’ai bien failli le détruire au reçu d’une certaine lettre…
— Pierre !
— N’en parlons plus, ma belle amie, n’en parlons plus ! Tout ce que je souhaite à présent, c’est une de ces boucles blondes qui moussent contre votre oreille. Je détiendrai de la sorte un double échantillon des couleurs ayant tour à tour paré votre tête.
En souriant, afin qu’il eût le plaisir de le faire lui-même, je lui tendis les ciseaux d’argent dont je me servais pour me tailler les ongles. Avec précaution, il détacha quelques mèches folles qu’il glissa sur sa poitrine entre sa chemise et son pourpoint.
— C’est là un bien mince cadeau, repris-je dans l’intention d’en minimiser la portée. Je vous le donne avec beaucoup moins de solennité que la première fois. Pourtant, ceux-ci vous causeront moins de déception que ceux-là !
Après ma toilette, nous accomplissions presque toujours un tour de jardin avant le dîner que nous prenions ensemble les jours de visites matinales.
Venaient ensuite des promenades dont je conserve un lumineux souvenir. Nous cheminions à travers prés, chemins creux, bois, ou le long des rives herbues du Loir. Nous en revenions, mon petit chien sur les talons, chargés de toutes sortes de trouvailles : fleurs, feuillages, coquillages fossilisés, plantes médicinales, roseaux frissonnants…
Car ce poète était aussi un homme de la terre. Élevé dans un village au cœur de la campagne vendômoise, il avait appris des paysans de Couture à reconnaître et à utiliser les baies sauvages comme les plantes aquatiques, les fruits de la forêt comme les graminées des champs. Sensuel en tout, il palpait le revers duveteux ou soyeux de certaines feuilles charnues, il caressait les troncs lisses des hêtres, des merisiers, des bouleaux, il goûtait les jeunes pousses des églantiers après les avoir dépouillées de leur écorce à l’aide de son poignard, il suçait les tiges tendres et sucrées des hautes herbes de juin.
Je revois ses mains habiles cueillir, toucher, éplucher, trier, soupeser, les produits de nos cueillettes.
À moi qui possédais déjà une connaissance honorable des simples, il réussissait à faire découvrir des ressources de la nature encore insoupçonnées. Il m’enseignait l’usage mais aussi la méfiance et ne se laissait jamais abuser par des ressemblances trompeuses.
Il s’amusait à me faire goûter ses découvertes et baisait ensuite sur mes lèvres les saveurs miellées, acides ou poivrées qu’y déposaient ces dégustations insolites.
Curieusement, une animalité évidente voisinait en lui avec le génie poétique. Il y avait du limier chez Pierre.
Chasseur dans l’âme, il distinguait là où je ne voyais rien, les traces d’un lièvre, d’un renard, d’un coq de bruyère, dont il pouvait déceler l’âge et les habitudes sans commettre d’erreur.
Campé sur ses longues jambes bottées de cuir jusqu’aux cuisses, il avait une façon de rejeter la tête en arrière pour humer le passage de la moindre senteur véhiculée par le vent qui l’apparentait à un chien de meute.
Il fréquentait la nature comme une femme et entretenait avec elle des rapports aussi intenses que journaliers. Tout son être participait à la verdeur du printemps, à l’ampleur épanouie de l’été, à la fructification de l’automne. S’il n’aimait pas l’hiver, c’était à cause de la mise en sommeil des pouvoirs de sa belle amante et parce que la germination invisible des mois de froidure lui échappait. Sans conteste, une sorte d’harmonie physique existait entre eux.
— Si je ne savais pas que le dieu Pan est mort, je le croirais réincarné sous votre forme, lui disais-je parfois avec amusement. En son honneur, je vais vous couronner de fleurs et de verdure !
Je lui confectionnais alors des couronnes agrestes qu’il posait joyeusement sur son front.
— En attendant les lauriers de la gloire, je me
Weitere Kostenlose Bücher