Les amours du Chico
par les guichets visibles ou dissimulés, humble par la
couleur neutre et effacée, arrogante et menaçante par les clous et
les peintures et les innombrables verrous et serrures, et froide,
triste, triste comme ces bâtiments d’aspect lugubre et sinistre,
sans physionomie précise, caserne ou prison, temple ou géhenne, on
ne savait pas au juste, qu’on apercevait dominant les hautes
murailles blanches qui les ceinturaient.
On dut attendre que les verrous énormes fussent tirés avec des
grincements sinistres, que les serrures géantes fussent ouvertes à
l’aide de clés que le nain Chico eût eu bien de la peine à
soulever. Il y eut forcément un temps d’arrêt assez long.
Le Chico profita de cet instant, qu’il avait peut-être prévu,
pour se livrer à une mimique expressive que Pardaillan, qui ne le
perdait pas de vue, on le conçoit, comprit aisément et qui eût la
bonne fortune de passer inaperçue, les gardes du chevalier,
satisfaits de voir leur corvée enfin terminée, plaisantant et
bavardant entre eux.
– Je viendrai ici tous les jours, disaient les gestes du
petit homme.
Et les yeux de Pardaillan répondaient :
– Pourquoi faire ?
Un haussement d’épaules, des yeux levés au ciel, des mains
remontant jusqu’à la tête et retombant mollement,
signifiaient :
– Est-ce qu’on peut savoir, tiens ! Vous serez
peut-être bien aise de communiquer avec le dehors.
Une moue accentuée, un hochement de tête, un regard circulaire
sur ses gardes, répondait :
– Heu ! Tu perdras ton temps. Je serai bien gardé,
va !
Et le Chico d’insister :
– Qu’est-ce que cela peut vous faire ? On peut
toujours essayer.
Et Pardaillan de répondre :
– Soit. J’accepte ton dévouement.
Et d’un sourire, il remerciait.
Maintenant, la porte était ouverte. Avant qu’elle se fermât
lourdement sur lui – peut-être pour toujours – il tourna une
dernière fois la tête et adressa un dernier adieu au nain dont la
physionomie intelligente et mobile semblait lui crier :
– Ne désespérez pas. Soyez prêt à tout. Je ne vous
abandonnerai pas, moi, et, qui sait ? peut-être vous serai-je
utile.
Pardaillan disparut sous la voûte sombre ; les soldats
ressortirent et s’éloignèrent allègrement, et le Chico demeura
seul, dans la rue déserte, ne pouvant se décider à s’éloigner de
cette porte qui venait de se fermer sur le seul homme qui lui eût
témoigné un peu d’amitié et lui eût parlé comme on parle à un
homme, sur cet homme dont la parole chaude et colorée avait éveillé
en lui tout un monde de sensations inconnues qui sommeillait sans
qu’il s’en doutât.
Le soleil s’éteignait lentement à l’horizon ; bientôt son
orbe rouge disparaîtrait complètement, la nuit succéderait au
jour ; il n’y avait plus rien à espérer. Le Chico poussa un
gros soupir et s’éloigna lentement, tristement, à regret.
Il ne remarqua pas le silence pesant qui semblait écraser la
ville. Il ne remarqua pas que, hormis les patrouilles qui
sillonnaient les rues, il ne rencontrait aucun passant dans ces
rues habituellement si animées à cette heure, où la fraîcheur du
soir qui tombait invitait les habitants à descendre respirer un peu
de cette fraîcheur vivifiante.
Il ne remarqua pas les boutiques soigneusement fermées, les
portes verrouillées, les volets hermétiquement clos Il ne remarqua
rien. Il allait doucement, tout pensif, et parfois il sortait de
son sein un parchemin qu’il considérait attentivement et le
remettait vivement dans sa poitrine, comme s’il eût craint qu’on ne
le lui volât :
Disons tout de suite que ce parchemin, auquel le nain paraissait
attacher un grand prix, n’était autre que ce blanc-seing que
Centurion avait obtenu de Barba-Roja et qu’il avait vendu à
Fausta.
On se souvient peut-être que Fausta était descendue dans le
caveau truqué de la maison des Cyprès pour y brûler la capsule
destinée à empoisonner l’air. En fouillant dans son sein pour y
prendre l’étui contenant le poison qu’elle destinait à Pardaillan,
elle avait laissé tomber ce blanc-seing, sans y prendre garde.
Quelques instants plus tard, Pardaillan avait trouvé ce papier,
et ne pouvant le lire dans l’obscurité, il l’avait passé à sa
ceinture. Or, en rampant sur les dalles pour épier El Chico, le
chevalier, sans s’en apercevoir, avait à son tour laissé tomber ce
papier.
De retour à l’auberge de
La Tour
,
il
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