Les amours du Chico
n’avait
plus pensé à ce chiffon de papier, dont il ignorait la valeur. Le
nain l’avait, à son tour, trouvé, et comme il savait lire, comme,
dans son réduit, il avait de la lumière, il s’était rendu compte de
la valeur de sa trouvaille et l’avait soigneusement mise de côté.
Son intention était de remettre ce parchemin au seigneur français,
à qui il appartenait sans doute, et qui, en tout cas, saurait,
mieux que lui, faire usage de ce document. Les événements qui
s’étaient précipités l’avaient empêché de réaliser son
intention.
C’était donc ce blanc-seing que nous l’avons vu étudier dans la
rue. Que voulait-il en faire ? À vrai dire, il n’en savait
rien. Il cherchait. Vaguement, il entrevoyait qu’il pourrait
peut-être s’en servir en faveur de Pardaillan. Mais comment ?
C’est ce qu’il s’efforçait de trouver.
Une chose l’inquiétait : c’est qu’il n’était pas très sûr
que sa trouvaille eût réellement la valeur qu’il lui attribuait.
Nous avons dit qu’il savait lire et même écrire. Il faut entendre
par là qu’il pouvait annoncer péniblement et griffonner, encore
plus péniblement, les mots les plus usuels ; c’est tout.
Pour l’époque, c’était beaucoup, et il pouvait passer pour un
savant aux yeux de la masse des illettrés. Aujourd’hui un enfant de
six à sept ans en sait davantage. On voit que tout est relatif.
Ce qu’il y a de certain, c’est que le Chico se rendait
parfaitement compte du peu de valeur de son instruction et n’avait
qu’une confiance très limitée en sa prétendue science. Que
voulez-vous, il n’était pas prétentieux ! Nous le savions déjà
timide, le voilà donc avec un défaut de plus. Ce n’est pas notre
faute s’il était ainsi et non autrement.
Donc, se méfiant de ses capacités, il n’était pas très sûr de la
valeur du document trouvé. Ah ! s’il avait été aussi savant
que la petite Juana, laquelle, sur les tablettes qu’elle avait dans
son cabinet de surveillance, savait résoudre les comptes les plus
compliqués, en moins de temps qu’il n’en faut pour vider un verre
de bon vin !
Oui, s’il avait été aussi savant qu’elle, il eût été vite fixé.
De là à se dire que la « petite maîtresse » pouvait seule
le tirer d’embarras, il n’y avait qu’un pas qui fut vite franchi.
Il résolut donc d’aller soumettre le précieux parchemin à la
compétence de son amie qui saurait bien lui dire, elle, ce qu’il en
était au juste. Ayant décidé, il prit aussitôt le chemin de
l’auberge de
La Tour.
Notez que Juana l’avait chassé et que son splendide costume
était en loques. Deux raisons qui l’eussent fait reculer en toute
autre circonstance. En effet, quel accueil lui serait fait s’il
osait se présenter devant elle sans avoir été mandé ? Quel
accueil, surtout, s’il se présentait ainsi ? Il n’y pensa pas
un seul instant. Il s’agissait peut-être du salut de son grand ami,
ceci primait toute autre considération, et il se mit résolument en
route.
Il trouva l’auberge à peu près vide de clients, et cela n’était
pas fait pour le surprendre après les événements sanglants de
l’après-midi. Les quelques personnes attablées étaient des
militaires qui, pour la plupart, ne faisaient qu’entrer se
rafraîchir et s’en allaient aussitôt.
La petite Juana trônait dans ce petit réduit attenant à la
cuisine, et qui était comme le bureau de l’hôtellerie. Elle avait,
naturellement, gardé la superbe toilette qu’elle avait endossée
pour aller à la corrida, et ainsi parée, elle était séduisante au
possible, jolie à damner un saint, fraîche comme une rose à peine
éclose, et dans son riche et élégant costume qui lui seyait à ravir
on eût dit une marquise déguisée.
En la voyant si jolie dans ses atours des fêtes carillonnées, le
Chico sentit son cœur battre la chamade, ses yeux brillèrent de
plaisir et une bouffée de sang lui monta au visage.
Mais il n’était pas venu pour la bagatelle et le petit homme eut
le courage de refouler la tentation qui l’agrippait. Résolu à ne
s’occuper que de choses graves, à ne songer qu’à son ami, il arriva
ceci, qu’il n’aurait jamais prévu : c’est qu’il se présenta
avec une assurance qu’elle ne lui avait jamais vue.
Nous n’oserions pas jurer que la mignonne Juana n’avait pas
escompté un peu cette visite de son timide amoureux. Il est même à
présumer que
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