Les amours du Chico
royales que le
bon populaire, celui qui ne savait rien des dessous de cette
affaire et qui – pour employer une expression de son cru – « y
allait bon jeu bon argent ».
Alors aussi ce fut la boucherie pure et simple, car les
malheureux n’avaient, pour la plupart, que quelques méchants
couteaux à opposer aux armes à feu des soldats et, pour cuirasses,
que leur large poitrine.
Néanmoins, ils tinrent bon et se laissèrent massacrer bravement.
C’étaient des fanatiques du Torero. Ils ne savaient pas, eux, quel
était ce prince Carlos qu’on acclamait. Ils ne savaient qu’une
chose : on voulait leur enlever leur Torero et, par le Christ
crucifié, cela ne se ferait pas.
Tout a une fin cependant. Bientôt ceux-là aussi apprirent que le
Torero était sain et sauf, hors d’atteinte de la griffe royale qui
avait voulu s’abattre sur lui. Comment ? Par qui ? peu
importe. Ils le surent, et dès lors il devenait inutile de
s’exposer plus longtemps.
Et ce fut la débandade générale et il ne resta plus sur la place
et dans les rues que les soldats triomphants… et aussi,
hélas ! les cadavres qui jonchaient le sol et les blessés plus
nombreux encore qu’on enlevait à la hâte.
Cependant, Pardaillan et son escorte arrivaient enfin au couvent
San Pablo. Et voici qu’au moment de franchir le seuil de sa prison,
il aperçut là, au premier rang, qui ? le nain Chico en
personne.
Mais dans quel état, grand Dieu !
Ah ! il était joli le somptueux costume flambant neuf
quelques heures plus tôt, ce fameux costume qui l’avantageait si
bien et qui lui avait valu auprès des nobles dames de la cour ce
mirifique succès qui avait paru si fort contrarier la gentille
petite Juana !
D’abord plus de toque empanachée et plus de manteau. Ensuite,
fripés, déchirés, maculés, les soies et les satins de ce qui avait
été un pourpoint. Des accrocs larges comme la main à ces chausses
resplendissantes. Et par-ci, par-là, des taches rouges qui
ressemblaient singulièrement à du sang.
Ah ! il était propre ! Et si la petite Juana l’avait
vu dans cet état, quelle réception elle lui eût fait, Sainte
Vierge !
La vérité nous oblige à confesser que le Chico ne paraissait
nullement se soucier des détails de sa toilette. Haillons ou
somptueux habits, il savait tout porter avec la même désinvolte
fierté. Il se redressait tout comme il le faisait sur la piste
lorsque les murmures d’admiration bourdonnaient autour de lui, et
il ne perdait pas une ligne de sa taille d’homoncule.
Et puis, tiens ! s’il était si mal arrangé, lui le Chico,
le seigneur français, son grand ami, celui qui lui apparaissait
comme un dieu, n’était guère mieux arrangé que lui, et de le voir
ainsi, entouré de gardes, ficelé comme un jambon, que c’en était
une pitié, couvert de poussière et de sang, le pauvre Chico en
était tout saisi et il en eût pleuré de chagrin si son grand ami ne
lui avait appris précisément qu’un homme ne doit pas pleurer.
Comment le Chico avait-il pu se faufiler jusque-là ?
Évidemment, sa petite taille l’avait utilement servi. Pourquoi
était-il là ? Pour Pardaillan. Celui-ci n’en douta pas un seul
instant.
Il ne disait rien, le petit homme, mais son regard, rivé sur les
yeux du prisonnier, parlait pour lui. Et ce regard trahissait une
peine si sincère, une affection si ardente, un dévouement si
absolu, une si naïve admiration à le voir si fier au milieu de ses
gardes qu’il paraissait diriger que ce grand sentimental qu’était
le chevalier de Pardaillan se sentit doucement ému, délicieusement
réconforté, et qu’il eut à l’adresse de son petit ami un de ces
sourires d’une si poignante douceur qui avaient le don de
bouleverser le petit paria.
Le premier mouvement de Pardaillan fut d’adresser quelques mots
au nain. Mais il réfléchit que dans les circonstances présentes il
risquait fort de le compromettre. Un mot de lui pouvait être
funeste à son petit ami. Il eut l’affreux courage de
s’abstenir.
Cependant, comme il avait la rage de s’oublier toujours pour
songer aux autres, il aurait bien voulu savoir ce qu’était devenu
son autre ami, don César, sur qui il s’était promis de veiller et
pour qui il s’était si imprudemment exposé qu’il se trouvait pris.
Il adressa donc, en passant, un regard d’une muette éloquence au
nain attentif.
Le Chico n’était pas un sot. Il s’était senti largement
récompensé par le
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