Les amours du Chico
couleurs.
– Oui-da ! fit Pardaillan, qui étudiait sans en avoir
l’air le petit homme. Mais c’est très bien, cela ! Il vous
fera grand honneur, j’en réponds.
Le Chico était heureux des compliments qu’il recevait, et il le
laissait ingénument voir.
– Tiens ! dit-il, j’ai voulu faire honneur à mon noble
maître. Puisque vous le dites, j’y ai réussi.
– Tout à fait, par ma foi. Mais pourquoi dis-tu : mon
noble maître, en parlant de don César ? Sais-tu s’il est noble
seulement, puisque lui-même n’en sait rien !
– Il l’est, dit le nain avec conviction.
– C’est probable, c’est certain même. Mais enfin il serait,
je crois, bien en peine de montrer ses parchemins.
Pardaillan avait sans doute une arrière-pensée en poussant ainsi
le nain sur une question qui avait alors une très grande
importance. Peut-être, connaissant sa fierté, s’amusait-il tout
bonnement à le taquiner.
Quoi qu’il en soit, le Chico répondit vivement :
– Ses parchemins, il doit les avoir, bien en règle,
tiens !
– Ah bah ! fit Pardaillan, surpris à son tour.
Irrévérencieusement, le Chico haussa les épaules.
– Parce que vous êtes étranger, vous ne savez pas, dit-il.
Don César est un
ganadero
(éleveur de taureaux). En
Espagne, c’est une profession qui anoblit.
– Tiens, tiens. Est-ce vrai ce qu’il dit là, don
César ?
– Sans doute ! Ne le saviez-vous pas ?
– Ma foi non.
– C’est à ce titre seul que je dois le très grand honneur
que veut bien me faire notre sire le roi, en m’admettant à courir
devant lui.
– Diable ! mais dites donc, je vous croyais
pauvre ?
– Je le suis aussi, dit le Torero en souriant. La
ganaderia
que je possède m’a été léguée par celui qui m’a
élevé et qui la tenait, sans nul doute, de mon père ou de ma mère.
Mais elle ne me rapporte rien.
– Vous m’en direz tant…
Et profitant de ce que le Torero sortait pour donner des
instructions aux deux hommes qui, en outre du Chico, devaient
l’assister dans sa course :
– Dis-moi, fit Pardaillan lorsqu’il se vit seul avec le
nain, quelle mouche t’a piqué de venir précisément aujourd’hui
t’enrôler dans la suite de don César ?
Le Chico regarda fixement Pardaillan.
– Vous le savez bien, dit-il.
– Moi ! Le diable m’emporte si je sais ce que tu veux
dire !
Le Chico jeta un coup d’œil furtif sur la portière, et baissant
la voix :
– Vous avez cependant entendu ce qui se disait dans la
salle souterraine, dit-il.
– Quel rapport ?…
– Vous savez bien que don César est en péril… puisque vous
ne le quittez pas d’une semelle.
– Quoi ! fit Pardaillan ému par la simplicité naïve de
ce dévouement. Quoi ! c’est pour cela que tu es venu
t’offrir ? C’est pour le défendre que tu as pris cette dague
qui te donne un air si crâne ?
Et il considérait le petit homme avec une admiration
attendrie.
Le nain cependant se méprit sur la signification de ce coup
d’œil, et hochant tristement la tête, il dit, sans
amertume :
– Je vous comprends. Vous vous dites que ma faiblesse et ma
petite taille ne pourront apporter qu’une aide illusoire s’il y a
bataille. Peut-on savoir ? La piqûre d’un
mosquito
(moustique) suffit parfois pour détourner le bras qui allait porter
le coup mortel. Je puis être ce
mosquito,
tiens !
– Je ne pense pas cela, dit gravement Pardaillan. Loin de
moi la pensée de chercher à diminuer ton généreux dévouement. Mais,
mon petit, sais-tu que la lutte sera terrible, la bagarre
affreuse ?
– Je le sais, tiens !
– Sais-tu que tu risques ta peau ?
– Pour ce qu’elle vaut, ce n’est vraiment pas la peine d’en
parler. Et puis, si vous croyez que je tiens à la vie, vous vous
trompez, ajouta le nain d’un ton désabusé.
– Chico, dit sincèrement Pardaillan, tu es tout petit par
la taille, mais tu as un grand cœur.
– Tiens ! vous voulez bien le dire, et vous le croyez
comme vous le dites, et cela doit être, puisque vous le dites.
Depuis que je vous connais, j’ai comme cela des idées que je ne
comprends pas très bien. On m’eût fort étonné en me disant que je
pourrais concevoir de telles idées. C’est ainsi pourtant. Je ne
sais pas qui vous êtes, ce que vous voulez, où vous allez, ce que
vous valez. Mais depuis que je vous ai vu, je ne suis plus le même.
Un mot de vous me bouleverse, et pour mériter un compliment
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