Les amours du Chico
perdu qu’il était
dans son rêve d’adoration, c’est-à-dire les coups d’œil langoureux
que ces mêmes belles dames ne craignaient pas de jeter effrontément
sur son pâtiras.
Ce jour-là, en vue de la course que pour rien au monde elle
n’eût voulu manquer, en bonne Andalouse qu’elle était, la petite et
toute mignonne Juana avait endossé sa plus belle et sa plus riche
toilette des grandes fêtes carillonnées. Et comme nous savons
combien elle était coquette, comme son digne père ne regardait pas
à la dépense dès qu’il s’agissait de cette enfant gâtée, joie et
prospérité de la maison, c’est dire si elle était
resplendissante.
Parée comme une madone, elle avait rencontré le sire de
Pardaillan, lequel, sans paraître remarquer sa rougeur et sa
confusion ni son émotion, pourtant très visible, l’avait doucement
prise par la main, l’avait entraînée dans ce petit cabinet où elle
était chez elle et s’y était enfermé seul à seule.
Que dit Pardaillan à la petite Juana, qui paraissait si émue
quand il l’entraîna ainsi ? C’est ce que la suite des
événements nous apprendra peut-être. Tout ce que nous pouvons dire
pour l’instant, c’est que l’entretien fut plutôt long et que la
petite Juana avait les yeux singulièrement rouges en sortant du
cabinet.
Du moins la nourrice Barbara en jugea ainsi. Cette nourrice
adorait sa maîtresse, ne la quittait pas d’une semelle et faisait
toutes ses volontés. Mais elle avait ceci de particulier, c’est
que, quoi que dît ou fît Juana, les choses les plus futiles ou les
plus naturelles, Barbara grondait, grognait, en appelait aux
Saintes et à la Vierge, et se refusait obstinément à admettre ce
qu’elle lui disait.
Juana paraissait-elle renoncer ou se rétracter, immédiatement la
matrone grondait de plus belle, se répandait en imprécations, en
vitupérations farouches, sans s’apercevoir qu’elle défendait avec
acrimonie ce qu’elle avait combattu l’instant d’avant, ou
inversement. Juana connaissait cette manie. Elle connaissait aussi
l’affection et le dévouement sincères de la brave femme. Elle
souriait doucement, laissait dire et agissait à sa guise.
Son entretien avec Pardaillan n’avait pas modifié son intention
d’assister à la course. Aussi, le moment venu, elle demanda à
Barbara de l’accompagner. Aussitôt, celle-ci d’éclater :
– Aller à la course, vous, une demoiselle ! Sainte
Barbe, ma digne patronne, se peut-il que mes oreilles entendent une
demande aussi incongrue ! Est-ce la place, dites-moi, d’une
jeune fille qui se respecte ! Si encore vous étiez admise sur
les gradins, parmi les dames de la noblesse, comme ce serait
justice, au bout du compte, car enfin, j’en appelle à toutes les
saintes du paradis, se peut-il trouver une demoiselle de haute
noblesse plus frêle, plus mignonne que vous ? Votre place
serait là, ne dites pas non. Et même vous feriez bien à un des
balcons de la place, et même à celui du roi. Oui, dans la loge de
notre sire le roi. Mais vous en aller dans la foule, vous faire
presser, écraser, étouffer peut-être par toute une multitude de
gens grossiers et malpropres… Sainte Vierge ! vous perdez
l’esprit, je crois.
Sans se fâcher, Juana avait maintenu sa demande, ajoutant que
puisqu’elle n’avait pas droit aux places réservées, elle se
contenterait de se mêler à la foule, et que si Barbara refusait de
l’accompagner, elle irait seule. À quoi la matrone ne manqua pas de
maugréer :
– Aller seule dans la foule ! À quoi servirait-il donc
d’avoir des serviteurs encore robustes, Dieu merci ! capables
de faire respecter leur jeune maîtresse et de la défendre au
besoin ! Suis-je donc si vieille, si impotente que je ne
puisse vous protéger ! Jour de Dieu ! j’irai avec vous ou
vous n’irez pas. Et si quelqu’un vous manque, je lui ferai voir de
quel bois se chauffe votre nourrice Barbara, que vous jugez trop
vieille pour vous accompagner.
C’est ainsi que, la vieille escortant la jeune, elles étaient
allées se placer au milieu de la cohue. Juana, moins favorisée que
la Giralda, n’avait pu pénétrer jusqu’au premier rang. Elle n’avait
pas de siège pour s’asseoir, pas le moindre petit banc pour
s’exhausser, elle qui était si petite. Elle ne voyait rien. Elle ne
connaissait les péripéties des différentes courses que par ce qu’on
en disait tout haut autour d’elle, mais elle était
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