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Les Amours qui ont fait la France

Les Amours qui ont fait la France

Titel: Les Amours qui ont fait la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Guy Breton
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rêver. Elle ne pouvait s’empêcher d’y penser le soir en soupirant, et tout le monde, sauf Philippe, bien entendu, remarquait son air mélancolique.
    Un jour, elle cessa de soupirer. Son regard était toujours aussi brillant ; mais elle était plus calme, plus sûre d’elle-même, plus réservée aussi. On ne la voyait plus saisir, en jouant, les mains du roi pour les poser sur ses lèvres ou venir, de façon un peu trop câline, se serrer contre lui. Elle était digne et presque aussi sévère d’aspect que Philippe.
    C’est alors que des bruits étranges commencèrent à courir dans Paris. On racontait à voix basse que la reine Jeanne, par certaines nuits sombres, quittait furtivement le Louvre, traversait la Seine et s’en allait à la tour de Nesle, qui était située en face. On assurait qu’elle y avait fait aménager, au premier étage, par des personnes de confiance, une grande salle où les soldats ne montaient jamais et que l’on ne pouvait atteindre que par un escalier indépendant. Cette salle, au dire des commères bien renseignées, était régulièrement approvisionnée en vin et en victuailles. Deux ou trois fois par semaine, la reine y faisait, paraît-il, monter des étudiants ou des bateliers qu’une mystérieuse entremetteuse lui envoyait afin qu’elle se livrât avec eux, jusqu’au petit jour, à la plus scandaleuse des débauches. Lorsque, enfin, sa fringale amoureuse était assouvie, on disait que la gracieuse et prudente reine appelait des gardes, faisait enfermer ses amants, las et repus, dans un sac lesté d’une grosse pierre et donnait l’ordre de les jeter dans le fleuve…
    Et l’on citait le nom du jeune escholier qui, sorti vivant de l’aventure grâce à un sac mal ficelé, avait dévoilé l’infamie de la reine.
    Ces bruits étaient naturellement parvenus aux oreilles du roi Philippe. Pourtant, il feignait de n’en rien savoir et n’y fit jamais allusion.
    Après sept siècles, que faut-il penser de ces accusations – qui seront d’ailleurs, en grande partie, reprises vingt ans plus tard à propos de Marguerite de Bourgogne et de ses belles-sœurs ?
    Il est difficile de le savoir. Sans doute le peuple a-t-il, avec son imagination coutumière, un peu noirci les faits. Mais il est probable que la reine Jeanne a bien eu quelques galants rendez-vous dans une pièce haute de la tour de Nesle.
    Il y a rarement de fumée sans feu.
    Cela expliquerait d’ailleurs l’attitude du roi, peu soucieux de faire éclater un scandale qui eût risqué de rendre publique l’inconduite de la reine et d’entraîner sa condamnation à la prison perpétuelle.
    Car Philippe, malgré sa froideur, aimait Jeanne. À aucun moment, il ne cessa de lui montrer de l’estime. Pour faire taire les commères du royaume, il s’ingénia toujours, au contraire, à lui faire partager sa gloire. C’est ainsi qu’après la conquête de la Flandre ils allèrent tous deux visiter les régions nouvellement rattachées au domaine royal.
    Il se passa là, d’ailleurs, un fait significatif.
    Pour recevoir dignement les souverains, les habitants de Gand, d’Ypres et de Bruges mirent leurs plus beaux vêtements, étalèrent tout leur luxe. Mal leur en prit. En voyant les bourgeoises de Bruges en toilettes somptueuses et couvertes de bijoux, la reine Jeanne, qui était orgueilleuse et vindicative, se sentit blessée dans sa vanité de femme. Elle devint rouge de colère et s’écria :
    — Je croyais qu’il n’y avait qu’une reine en France ; j’en vois six cents [88]  !
    Et elle obtint du roi Philippe, décidément bien faible devant son épouse, que la rançon des malheureux habitants de Bruges fût augmentée…
     
    Vers 1294, Philippe le Bel connut de graves ennuis d’ordre financier. Comme il se trouvait dans l’impossibilité de frapper le peuple de nouveaux impôts – les lois féodales étant, à cet égard, très strictes –, il dut prendre la décision de réduire son train de vie, ce qui déplut énormément à la reine Jeanne, habituée aux robes élégantes, aux bijoux, aux tissus rares et aux pâtisseries fines.
    Elle se plaignit au roi :
    — Pourquoi devrais-je me priver seule quand toutes les femmes du royaume continueront, comme par le passé, à se vêtir somptueusement et à se nourrir à leur guise ? C’est insupportable.
    Philippe le Bel posa sur elle son regard doré.
    — L’exemple a d’autant plus de force, madame, qu’il vient de plus haut. Toutes

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