Les Amours qui ont fait la France
de Troyes et membre du Conseil du roi, d’avoir facilité la fuite du chanoine. Outré, le prélat protesta de son innocence ; ce qui n’empêcha pas Jeanne de le faire chasser du Parlement.
Or, quelques jours plus tard, le 2 mai 1302, la reine mère de Navarre, dont la santé était cependant florissante, mourut subitement d’un mal mystérieux. Aussitôt, le peuple accusa Guichard, qui se livrait, disait-on, à des pratiques de sorcellerie, de l’avoir empoisonnée ou envoûtée par effet de charmes maléfiques. Naturellement, la reine Jeanne, qui voulait à toute force la perte de l’évêque, se déclara certaine de sa culpabilité et ordonna aux chefs de la police de faire mener sur lui une enquête serrée.
Celle-ci n’était pas terminée (peut-être était-elle sur le point d’aboutir) lorsque, le 2 avril 1304, la reine Jeanne, dans l’éclat de ses trente-deux ans, mourut à son tour subitement au château de Vincennes.
Philippe le Bel, profondément affligé, suivit le convoi funèbre jusqu’à l’église des Cordeliers, sourd aux propos de la foule qui ne se gênait pas pour accuser Guichard d’avoir fait mourir la reine par envoûtement.
Pendant quatre ans, le roi refusa de prêter attention à ces bruits. Mais, un jour de 1308, un vieil homme vêtu misérablement se présenta au Louvre.
— Je voudrais parler au confesseur du roi, dit-il. C’est très important.
On le fit entrer, et un dominicain le reçut.
Visiblement impressionné par le regard froid du religieux, l’étrange visiteur bredouilla :
— Je suis l’ermite de Saint-Avit. Je viens faire des révélations au sujet de la mort de la reine Jeanne.
— Je vous écoute.
— La reine, Dieu ait son âme, est bien morte par sorcellerie et sortilège, comme on l’a dit. Je connais l’homme qui l’a envoûtée, pour avoir été son complice : c’est messire Guichard, abbé de Moustier-la-Celle, évêque de Troyes.
Et, dans le cabinet silencieux, l’ermite conta à voix basse comment il avait été mêlé à ce crime.
— Un soir, dit-il, dans la cabane que j’occupe au milieu des bois, je reçus la visite de l’évêque. Il me remit une fiole et me demanda d’aller à Paris empoisonner les trois fils du roi. Horrifié, je refusai. Alors, il m’injuria, menaça de me tuer et, finalement, se retira en me maudissant.
Quelques mois plus tard, Guichard était revenu voir l’ermite en compagnie d’une sorcière nommée Margueronne de Bellevillette. Sous la menace, tous deux l’avaient obligé à participer à une impressionnante cérémonie. L’évêque, ayant modelé une petite poupée de cire à la ressemblance de la reine, avait allumé des cierges et prononcé quelques formules incompréhensibles, aussitôt répétées par la sorcière. Puis l’ermite avait dû dire des prières dont il n’avait pas compris le sens et, finalement, Guichard, s’étant saisi d’une longue aiguille, avait percé la poupée en différents endroits. Le lendemain, la reine Jeanne était morte à Vincennes d’une étrange maladie.
Dès qu’il connut la déposition de l’ermite, Philippe le Bel fit arrêter Guichard et Margueronne de Bellevillette. Tous deux nièrent énergiquement les faits rapportés par celui qui se disait leur complice, et l’affaire traîna pendant des années. Au bout de huit ans, on dut relâcher l’évêque, faute de preuves.
Néanmoins, un doute subsista dans l’esprit du peuple.
— Guichard a bénéficié des circonstances, disait-on. Si le roi Philippe n’avait pas été préoccupé par l’affaire des Templiers, l’enquête ouverte à la suite des révélations de l’ermite de Saint-Avit aurait été menée avec plus de zèle…
C’était vrai. Le roi, toujours à court d’argent, avait engagé contre le très puissant et très riche ordre du Temple, dont il convoitait les richesses, un procès qui occupait tout son esprit. La lutte était d’une importance considérable qui échappait, bien entendu, au menu peuple.
— Le roi fait passer ses intérêts et sa politique avant le culte dû aux défunts, murmurait-on. Il aime mieux prendre le trésor des Templiers que venger la mort de notre reine.
Quelques commères, il est vrai, ricanaient :
— À moins que notre gentil sire n’ait aucune envie de punir l’assassin d’une femme qui l’a, paraît-il, si effrontément trompé…
Mais on les faisait taire.
D’ailleurs, ces commères pouvaient bien reprendre
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