Les Amours qui ont fait la France
haleine et ménager leur salive. Elles allaient en avoir grand besoin…
Le 14 mars 1314, Jacques de Molay, grand maître de l’ordre des Templiers, et quatre moines accusés d’hérésie et de sodomie furent brûlés vifs dans l’île aux Vaches, devenue aujourd’hui le terre-plein du Vert-Galant. Philippe le Bel, impassible, assista à leur supplice d’un balcon du Louvre. Lorsque les dernières flammes furent éteintes, sans doute le roi pensa-t-il que ses ennuis prenaient fin.
Or, au même balcon que lui, il y avait également trois jeunes princesses.
La plus âgée s’appelait Marguerite de Bourgogne.
17
Les débauches de Marguerite de Bourgogne
firent exclure les femmes de la Couronne
Le royaume de France est si noble
qu’il ne peut aller à femelle.
Froissart
Philippe le Bel aimait beaucoup ses trois brus, car, grâce à elles, le Louvre était devenu un endroit presque gai. Elles organisaient des réjouissances, des bals fort animés, des soirées consacrées à quelque trouvère en vogue ou de passage à Paris, et leur vie ressemblait à une fête. On les rencontrait, à chaque instant, riant et tourbillonnant dans les couloirs, suivies de jeunes filles chuchoteuses et d’adolescents moqueurs.
La plus âgée des trois, je l’ai dit, se prénommait Marguerite ; elle avait vingt-trois ans. C’est elle que le roi préférait, pour sa grâce, son sourire et sa façon hardie de dire à chacun ce qu’elle pensait.
Elle était la fille de Robert II de Bourgogne, et Philippe le Bel l’avait fait épouser, en 1305, par son fils aîné, Louis, alors qu’elle n’avait pas quinze ans.
Il la trouvait jolie et intelligente et se plaisait à penser qu’un jour elle serait reine de France.
Parfois, le regard malicieux de Marguerite rencontrait celui du roi. Alors, le visage habituellement impassible s’animait et, sur les lèvres minces de Philippe, flottait un sourire…
— Pour faire sourire le roi, disaient les graves conseillers qui le connaissaient bien, il faut que cette princesse soit joliment habile.
Habile, certes elle l’était. Et, si Philippe avait su ce qui se passait dans la tête de sa bru préférée, sans doute eût-il cessé de sourire…
Lorsqu’elle s’était mariée, Marguerite, qui était fort précoce et d’un tempérament très au-dessus de la moyenne, avait cru pouvoir apaiser sa soif de caresses. Hélas ! le jeune Louis préférait les plaisirs grossiers du jeu de paume aux agréments plus délicats et plus variés de l’alcôve. Quand il avait joué toute la journée avec ses camarades, il s’endormait lourdement auprès de sa femme, sans même lui faire une de ces petites gentillesses qui témoignent d’une bonne éducation.
D’ailleurs, le chanoine de Saint-Victor n’hésite pas à dire de lui qu’« il était prodigue et dissipateur et n’avait que les goûts de l’enfance, quoiqu’il eût été, à plusieurs reprises, châtié, pour ce sujet, par son père. »
Marguerite, que la lecture de vers légers composés par les ménestrels émoustillait chaque jour davantage, devint bientôt aussi mélancolique que la reine Jeanne l’avait été jadis, et son esprit s’emplit d’idées que la morale réprouve généralement. Elle rêva d’étreintes brutales et de rendez-vous secrets…
Or, depuis qu’elle avait le titre de reine de Navarre [90] , elle possédait une cour indépendante et jouissait de ce fait d’une extrême liberté.
Elle en profita pour s’entourer de jeunes femmes et de jeunes chevaliers plus intéressés que son mari aux jeux de l’esprit, et organisa des débats sur des sujets qui la passionnaient. La petite cour s’entretenait ainsi, pendant des heures, de poésie gaillarde, de philosophie et d’amour. Après quoi, Marguerite entraînait tout le monde dans un jeu de cache-cache qui lui permettait de se retrouver dans quelque placard en compagnie du plus beau des chevaliers de l’assemblée et d’attendre en frissonnant qu’il se passât quelque chose… Il faut bien le dire, la belle était chaque fois déçue. Aucun des vigoureux adolescents qu’elle attirait dans ses cachettes n’osait lui manquer de respect ! Quelques-uns lui murmuraient bien à l’oreille de jolis compliments ; mais cela n’allait pas plus loin…
Pendant deux ans, la jeune reine vécut ainsi, de façon relativement sage. Ces intrigues sans aboutissement et tous ces simulacres galants pourtant l’épuisaient. Elle
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