Les Amours qui ont fait la France
finit par se séparer de ces garçons trop vertueux ou trop prudents, et on la vit, à son tour, s’accouder le soir à la fenêtre qui s’ouvrait sur la Seine, et rêver en considérant les robustes bateliers…
Cette existence déprimante avait cessé en 1307, après que Philippe le Bel eut marié coup sur coup ses deux autres fils, Philippe et Charles, avec deux cousines de Marguerite : Jeanne de Bourgogne et sa sœur Blanche.
Immédiatement, la jeune femme avait repris espoir. Ce qu’elle n’osait faire avec des compagnes qui n’étaient point de son rang, et à qui elle ne pouvait confier ses intimes désirs, lui parut dès lors réalisable avec la complicité de ses jeunes belles-sœurs. Et, comme celles-ci n’avaient pas tardé à se plaindre également de la froideur de leurs époux, une entente spéciale, fondée sur des griefs communs, s’établit bientôt entre les trois femmes. Les fils du roi aimaient décidément trop le jeu de paume. Cela ne devait pas leur porter chance…
Marguerite commença par reformer sa cour où fut admise toute la jeunesse du palais. Puis les trois princesses organisèrent des fêtes, ce qui ne s’était pas fait depuis l’époque où la reine Jeanne, délaissée du roi, cherchait, elle aussi, à s’amuser… Elles se livrèrent à mille excentricités, commirent quantité d’imprudences qui eussent inquiété n’importe quel mari moins aveugle que les fils du roi et recherchèrent les compliments « pour faire entendre qu’il n’était point interdit de porter les yeux sur elles »…
Philippe le Bel assistait, impassible, à cette dangereuse exubérance. Pourtant, tout ne devait pas lui plaire dans le comportement de ses brus.
Un jour, celles-ci inventèrent – tant était grand leur désir de troubler les hommes de la cour – une mode nouvelle et singulièrement audacieuse. Elles se firent confectionner des robes dont la jupe était fendue d’un côté, jusqu’à la hanche, et qui laissait voir, à chaque pas qu’elles faisaient, beaucoup plus qu’il n’est convenable pour des princesses. De nombreux chevaliers furent éblouis par les rapides visions qu’offrait la démarche des trois rouées. Et, dans tout le château du Louvre, le bruit se répandit bientôt que les brus du roi n’étaient pas seulement jolies, mais qu’elles étaient admirablement faites.
L’attitude résolument provocante qu’avaient adoptée les trois princesses privées d’amour finit par donner quelque hardiesse à certains jeunes gens de leur suite. Et l’on parla à voix basse de baisers échangés furtivement dans l’ombre des escaliers, et même d’étreintes rapides entre deux portes. Toutefois, personne ne pouvait donner de précisions, et bien des gens considéraient ces histoires comme de vulgaires ragots inventés de toutes pièces.
Pourtant, il est quelqu’un qui s’y arrêta. C’est Jehan de Meung, le continuateur du Roman de la rose . Ayant fait une petite enquête, il acquit rapidement la certitude que ces bruits étaient fondés et que les gracieuses brus du roi de France n’étaient pas des modèles de vertu.
Un soir, qu’il était convié à la cour de la reine de Navarre pour y dire ses œuvres, il s’amusa à chanter une chanson de sa composition dans laquelle se trouvaient plusieurs allusions fort claires aux aventures galantes des trois princesses. Il espérait les faire rire. Il les fâcha.
Sans rien montrer de leur colère, elles lui demandèrent de demeurer dans leur chambre, puis elles se rendirent dans une pièce voisine afin de convenir de la punition qu’elles devaient lui infliger pour son indiscrétion.
Après un court débat, elles décidèrent qu’il serait frappé de verges. Rentrées dans leur chambre, elles mirent au courant le pauvre Jehan de Meung de ce qui l’attendait.
— Pour vous apprendre à trop parler, lui dit Marguerite de Bourgogne, nous allons vous lier les bras et, tandis que notre huissier de chambre veillera à la porte, nous vous frapperons à tour de rôle à coups de verge.
Le poète était loin de s’attendre à pareille chose. Ahuri, il allait se laisser ligoter lorsqu’il eut une idée.
— Fort bien, mesdames, dit-il respectueusement. J’ai, en effet, cent fois mérité cette punition. Toutefois, je requiers une grâce à genoux ; ce n’est pas pour éviter le châtiment, mais pour y mettre une juste et raisonnable condition : c’est que celle de vous qui est la plus coupable,
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