Les Amours qui ont fait la France
donc la plus offensée par mes vers, me frappe la première.
Alors les princesses changèrent de ton, rangèrent leurs verges et déclarèrent en souriant que tout ceci n’était qu’une aimable plaisanterie…
Après cet incident, Jehan de Meung et les autres poètes se tinrent désormais sur leurs gardes, et personne ne parla plus des amours clandestines des trois jeunes femmes.
Pourtant, le scandale n’allait pas tarder à éclater…
De tout temps, il a suffi d’un beau soleil, de carillons et de draps piqués de fleurs aux façades des maisons pour qu’une ville ait un air de fête. Boulogne avait tout cela en ce jour de juin 1309, et les Boulonnais souriaient, heureux de vivre des heures inhabituelles. Depuis le matin, des héraults parcouraient les rues, annonçant au peuple hilare des réjouissances multiples qui devaient avoir lieu jusqu’au surlendemain, et les tavernes ne désemplissaient pas. Bref, on fêtait comme il se devait le mariage de la princesse Isabelle, fille de Philippe le Bel, avec Édouard II, roi d’Angleterre, dont la cérémonie s’était déroulée le matin, en la cathédrale.
Quelques commères, pourtant, ricanaient.
— Ce jeune roi anglais, disaient-elles, n’a pas l’air d’un homme. On croirait plutôt une jeune fille, tant sa voix est câline et ses gestes délicats… Notre princesse aurait-elle épousé un « faux-semblant » ?
Eh oui ! les commères boulonnaises avaient vu juste. Le jeune roi Édouard II était bien plus attiré par les damoiseaux que par les damoiselles. La pauvre Isabelle allait bientôt s’en apercevoir.
Pour l’instant, elle n’avait aucun soupçon. D’ailleurs, elle était bien trop occupée par les préparatifs de son départ pour remarquer quoi que ce fût d’anormal dans le comportement de ce mari qu’elle ne connaissait pas la veille encore. Elle faisait porter vers le bateau des coffres emplis de cadeaux et de robes élégantes, comme on n’en faisait déjà qu’à Paris, et veillait à l’embarquement des cassettes de bijoux dont elle voulait éblouir les dames d’Angleterre.
Quand vint l’heure des séparations, elle embrassa tous les membres de sa famille et remit un présent à chacun.
— Pour vous souvenir de moi lorsque je serai à Londres, dit-elle, car je ne sais quand je reviendrai.
À Marguerite et à Blanche, ses belles-sœurs, elle donna deux magnifiques bourses qu’elle avait brodées elle-même.
Ravies, les deux princesses accrochèrent immédiatement l’objet à leur ceinture.
— Que ces bourses vous portent bonheur, dit Isabelle.
Puis, accompagnée de son époux, elle s’embarqua sur la plus belle des nefs, celle dont le château [91] était tendu de drap d’or…
Qui donc aurait pu prédire que ces cadeaux anodins causeraient, un jour, la perte des trop légères brus du roi de France ?
C’est peu de temps après le départ d’Isabelle que Marguerite remarqua, parmi les nouveaux chevaliers de l’hôtel royal, un très beau garçon dont le regard lui donnait l’impression d’avoir des pelotes d’aiguilles au creux des mains. Elle demanda son nom et apprit que ce séduisant jeune homme s’appelait Philippe d’Aulnay.
Pendant plusieurs nuits, elle dormit fort mal. Pourtant, elle hésitait à convier ce beau chevalier à ses réunions littéraires et à ses jeux de cache-cache si particuliers. Elle craignait qu’avec lui les choses ne restassent pas sur le plan de la bagatelle, mais prissent un tour plus dangereux…
En vérité, elle avait peur de tomber amoureuse pour la première fois de sa vie. Elle pensait en effet – avec quelque ingénuité – qu’une femme mariée pouvait prendre du plaisir avec de vigoureux partenaires sans que cela pût être considéré comme une faute grave, mais que l’amour était un péché.
Pendant des semaines, elle s’efforça de ne plus penser à Philippe. Elle s’y efforça même avec une telle passion qu’elle finit par tomber éperdument amoureuse de lui. Elle s’alanguit, perdit ses couleurs, se désintéressa de la poésie et s’enferma pendant des heures dans sa chambre pour y pousser des soupirs qui inquiétaient les dames de sa suite.
Enfin, par un après-midi trop chaud de juillet, incapable de résister plus longtemps à son désir, elle fit appeler le chevalier.
Ils eurent un long entretien, pendant lequel l’huissier de chambre de Marguerite jugea discret de s’éloigner…
Devenue la maîtresse de
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