Les années folles
remirent à manger avec prudence leur morceau de gâteau
et Claire découvrit la fève dans sa portion.
– Bon, ça a
tout l’air que je vais aller faire une bonne petite sieste après le dîner, déclara
la jeune fille pour narguer ses frères et sœurs. Ça va être pas mal plus agréable
que de laver de la vaisselle ou de préparer le souper.
Aline
et Jeannine lui jetèrent un regard d’envie.
– J’espère
que vous ferez pas trop de bruit en lavant la vaisselle, ajouta Claire pour les
faire rager.
– Ça va, exagère
pas, rétorqua Aline, de mauvaise humeur.
– Et vous, p’ pa, allez-vous en profiter d’être le roi ?
demanda Gérald.
Le père, qui
venait de saisir sa tasse de thé bouillant, en but une gorgée avant de lui
répondre. Immédiatement, il poussa un cri étouffé en portant la main à sa
bouche.
– Torrieu !
jura-t-il. Pour en profiter, je vais en profiter. Me voilà pogné pour aller à
Pierreville, chez Monet, pour me faire arracher une dent à cause de cette niaiserie-là.
– D’après ce
que j’ai vu, voulut le consoler Thérèse, ta dent avait plus l’air bien bonne.
– Laisse
faire, toi, répliqua son mari en grimaçant. Avant que je la casse sur ce maudit pois -là, elle me faisait pas mal.
Cet incident jeta un froid sur cette célébration des Rois qui clôturait
habituellement bien la période des fêtes.
Durant toute la
semaine qui suivit le jour de l’ An , Gabrielle
Paré ne songea qu’à trouver la meilleure façon d’attirer Germain Fournier chez
sa logeuse. Ce n’était pas le prince charmant, loin de là. Même si elle ne le
trouvait ni beau ni attirant, elle y tenait. Elle était tout à fait consciente
que la nature était loin d’avoir gâté le jeune cultivateur. Sa peau ravinée, ses
cheveux gras coupés à la diable et son visage taillé à coups de serpe n’avaient
rien pour faire rêver une jeune fille. De plus, il était emprunté, taciturne et
peu sûr de lui.
Si la jeune
orpheline avait jeté son dévolu sur le jeune célibataire, c’est qu’il représentait,
à ses yeux, l’unique porte de sortie de son état actuel. Elle était fatiguée au-delà
de toute expression d’être au service des autres et de travailler comme une
esclave d’un soleil à l’autre sans jamais recevoir une preuve d’amour ou d’attachement.
Elle n’avait jamais eu de chez-soi ni un sou dans
ses poches. Aussi loin qu’elle pouvait se rappeler, Gabrielle ne se souvenait
pas d’avoir été vraiment heureuse une seule journée dans sa vie. Elle n’avait
pas connu ses parents. Elle avait été éduquée et formée par les religieuses de
l’orphelinat de Saint-Ferdinand qui lui avaient toujours fait gagner largement
la nourriture qu’elle mangeait.
À dix-neuf ans, elle
était sous la tutelle des religieuses pour deux ans encore. Deux autres années
de prison à Saint-Ferdinand ! C’était impossible ! Quand la mère supérieure
lui avait appris qu’elle l’avait prêtée au curé de Saint-Jacques-de-la-Rive
pour quelque temps à titre de servante, la jeune fille s’était promis
sur-le-champ qu’elle ne remettrait plus les pieds à l’orphelinat. Elle jugeait
qu’on avait assez profité d’elle.
Bien sûr, la
vieille Agathe Cournoyer était g entille
avec elle, mais c’était normal puisqu’elle faisait pratiquement tout son
travail à sa place. Qu’elle ait une saute d’humeur ou qu’elle cause le moindre
embarras, elle était certaine que la vieille servante serait la première à
demander au curé Lussier de la renvoyer à l’orphelinat.
Bref, Germain
Fournier pouvait devenir son libérateur si elle savait s’y prendre habilement
avec lui. Depuis qu’il avait accepté de partager son souper du jour de l’ An , Gabrielle était persuadée qu’elle
pourrait parvenir à le séduire. Mais pour y arriver, il allait lui falloir la
collaboration de sa logeuse et peut-être même celle du curé Lussier.
Le samedi soir, de
retour à la maison après sa journée de travail au presbytère, Gabrielle proposa
à Agathe de faire une recette de sucre à la crème.
– Nos prêtres
en ont mangé durant tout le temps des fêtes, protesta la vieille servante en se
laissant tomber dans sa chaise berçante.
– Ce serait
pas pour eux, madame Cournoyer. Ce serait pour en donner un peu à Germain, demain
avant-midi.
– Dis donc, ma
belle, est-ce que t’aurais une idée derrière la tête en gâtant comme ça Germain
Fournier ?
Weitere Kostenlose Bücher