Les années folles
le repas du midi au feu, Agathe Cournoyer prit les
devants.
– Enlève ton
tablier, on va aller parler à monsieur le curé, dit-elle à son assistante en
déposant le sien sur le dossier d’une chaise.
La ménagère entraîna Gabrielle dans le salon où le curé était en train
de lire le courrier laissé quelques instants plus tôt par le postier.
– Monsieur le
curé, est-ce qu’on peut vous déranger une minute ? demanda Agathe en s’avançant
dans la pièce.
Pendant
un court instant, Antoine Lussier regarda les deux femmes par-dessus ses
lunettes qui avaient glissé sur son nez avant de replier la feuille qu’il avait
entre les mains. Gabrielle Paré se tenait un peu en retrait, les mains croisées
devant elle, les yeux modestement baissés.
– Oui. Qu’est-ce
qu’il y a ? demanda-t-il avec un brin d’impatience.
– Eh bien, voilà,
monsieur le curé. Vous connaissez Germain Fournier du rang Sainte-Marie ?
– Oui. Et
alors ?
– La petite
et moi, on l’a invité à venir souper à la maison le soir du jour de l’ An .
Immédiatement,
le curé fronça les sourcils et prit un air soupçonneux.
– Pourquoi ?
– Parce qu’il
était tout seul pour les fêtes et parce que nous avons pensé que c’était une
belle charité à lui faire que de pas le laisser tout seul ce jour-là.
Le visage du prêtre se détendit.
– Vous avez
bien fait. C’était se conduire en bonnes chrétiennes. Ce pauvre Germain fait
pitié.
– On l’a
réinvité hier soir.
– Ah bon !
Mais je vois toujours pas où est le problème.
– Le problème
est que Germain semble trouver Gabrielle pas mal à son goût et que j’ai l’impression
qu’il demanderait pas mieux que de commencer à la fréquenter sérieusement.
– Ça, c’est
une autre paire de manches ! s’exclama le curé.
– C’est bien
pour ça qu’on est venues vous voir, monsieur le curé, dit Agathe Cournoyer sans
s’émouvoir. On voulait vous demander votre avis.
– Est-ce qu’il
a demandé à venir veiller avec toi, ma fille ? demanda le prêtre en s’adressant
directement à Gabrielle qui, jusqu’à ce moment-là, n’avait pas prononcé un mot.
– Pas
directement, monsieur le curé.
– Attendez un
peu toutes les deux, ordonna Antoine Lussier en se levant du fauteuil en
peluche rouge sur lequel il était assis. Germain Fournier a-t-il, oui ou non, dit
qu’il voulait commencer des fréquentations ?
– Pas
vraiment, monsieur le curé, répondit la vieille ménagère. Mais je sens qu’il
est à la veille de demander la permission de venir veiller.
– Ah ! vous
sentez… C’est pas pantoute la même chose, ma bonne madame Cournoyer.
– Oui, je le
sens. Si on vient vous en parler, monsieur le curé, c’est qu’on veut savoir si
on peut lui permettre de venir à la maison. Après tout, c’est vous qui êtes
responsable de Gabrielle pendant qu’elle est dans la paroisse.
Le
curé Lussier examina durant un moment le visage de Gabrielle.
– T’as quel
âge exactement, ma fille ?
– Dix-neuf
ans, monsieur le curé.
– Ouais, c’est
pas mal jeune encore, dit le pasteur sur un ton songeur.
Le
visage de Gabrielle avait subitement pâli. Elle sentait que le prêtre s’apprêtait
à lui refuser le droit de fréquenter le jeune cultivateur, et peut-être envisageait-il
même de la renvoyer à l’orphelinat pour éviter les embarras inutiles.
– Si je les
chaperonne, monsieur le curé, intervint Agathe Cournoyer, il se passera rien et
ça ferait peut-être du bien au petit Fournier.
Le
prêtre sembla prendre une décision.
– Bon. C’est
correct. Ma fille, tu peux recevoir Germain Fournier s’il veut te fréquenter, mais
obéis à madame Cournoyer et suis ses conseils. Oublie pas que t’es une bonne
chrétienne et que la pureté est la plus belle richesse d’une jeune fille. S’il
arrive la moindre chose, je serai obligé de me priver de tes services et de te
renvoyer à l’orphelinat. Tu m’as bien compris ?
– Oui. Merci,
monsieur le curé, murmura Gabrielle Paré.
Les
deux femmes se retirèrent et retournèrent dans la cuisine. Gabrielle remercia
la ménagère du curé du bout des lèvres en remettant son tablier. La jeune fille
avait trouvé particulièrement humiliant d’avoir presque à supplier le prêtre
pour obtenir la permission de voir quelqu’un. Maintenant que c’était acquis, se
dit-elle en serrant les dents, le Germain Fournier était mieux de
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