Les années folles
aussi, fit Anne en s’emparant à son tour de son manteau suspendu près
de la porte.
Quelques
minutes plus tard, Ernest et ses fils rentrèrent dans la maison.
– Maudit
hiver ! jura le cultivateur. Tout est pogné dans la glace. Il a fallu que
ça arrive juste le matin, quand je dois aller au village porter le lait, sacrement !
Ça, c’est le genre de température où un cheval peut glisser sur le chemin et se
casser une patte. Si encore il avait neigé un peu avant, ça aurait juste formé
une croûte qui aurait défoncé en marchant dessus. Ben non, c’est de la glace. Et
avec ce froid-là, c’est pas demain la veille que ça va fondre.
Après
le déjeuner, Jérôme accompagna son père à l’écurie. Ils sellèrent le cheval au
traîneau et partirent lentement pour le village après avoir déposé sur le véhicule
les bidons de lait destinés à la fromagerie.
Quelques minutes
plus tard, Anne Veilleux vit par la fenêtre la petite Jeannine Tremblay s’avancer
précautionneusement vers leur balcon. La fillette avait du mal à demeurer
debout sur la glace.
– Céline, dit-elle
à sa sœur en train de plier la nappe, je pense que la petite Tremblay vient te
voir. Ton Roméo doit vouloir te dire quelques petits mots d’amour, se
moqua-t-elle.
Leur
mère tendit le cou pour vérifier l’exactitude du renseignement.
– Si ça a de
l’allure d’envoyer quelqu’un marcher dehors sur la glace vive.
Céline
ne dit pas un mot et alla ouvrir la porte à la fillette qui lui murmura
quelques mots avant de repartir.
– Qu’est-ce
qu’elle te voulait ? lui demanda sa mère.
– Clément
voudrait savoir quand je peux le recevoir au salon.
– Ah ! c’était
pas juste pour le jour de l’ An , cette
affaire-là ? fit sa mère en affichant un air faussement innocent.
– Bien non, m’man.
Clément veut me fréquenter pour de bon.
– À ce
moment-là, je pense que t’es mieux d’en parler à ton père. Si j’ai un conseil à
te donner, attends qu’il soit de bien bonne humeur. Qu’est-ce que tu lui as
répondu à la petite Tremblay ?
– J’ai
fait dire à Clément que j’en parlerais à p’ pa.
Céline
trouva cette journée particulièrement longue à guetter un signe de bonne humeur
chez son père. Ce dernier avait eu tellement de mal à aller au village durant l’avant-midi
et à aller bûcher avec Jérôme qu’il ne se détendit un peu qu’en début de soirée.
Son premier sourire de la journée n’apparut qu’au moment où il alluma sa pipe
après le souper. Il faut croire qu’Yvette surveillait aussi le bon moment parce
qu’elle s’empressa de faire un signe discret à sa fille quand elle remarqua ce
sourire d’aise chez son mari.
– P’ pa, Clément m’a fait demander quand il
pourrait venir veiller au salon, dit Céline d’une toute petite voix.
– Quoi ?
Encore lui ! Et il est venu pendant que j’étais pas là ?
– Non, il a
envoyé la petite Jeannine.
– Qu’est-ce
qu’ils ont, ces maudits Tremblay-là ? Ils peuvent pas rester chez eux !
reprit son père sur un ton agressif. Pourquoi ce gars-là veut venir user mon set de salon ?
– Il veut me
fréquenter, p’ pa.
– Se faire
fréquenter par un Tremblay, c’est tout un honneur, persifla Ernest.
– Voyons, Ernest,
protesta sa femme. C’est pas un méchant garçon. D’après sa mère, il est pas mal
vaillant et il boit pas.
Le cultivateur, le visage fermé, laissa passer un long moment, comme s’il
avait du mal à prendre sa décision.
– En tout cas,
reprit-il sur un ton catégorique, il est pas question qu’il vienne s’installer
dans mon salon en pleine semaine. Peut-être le dimanche après-midi…
– Est-ce qu’il
pourrait pas venir le samedi soir aussi ? implora Céline. Juste une fois
par semaine, c’est pas bien souvent, p’ pa.
– Torrieu !
s’emporta Ernest. C’est ben les enfants d’aujourd’hui. Tu leur donnes un pouce,
ils prennent un pied.
– Ernest !
s’écria Yvette, sur un ton réprobateur.
– OK. Le
samedi soir et le dimanche. Mais les fréquentations, ça se fait dans le salon
et avec un chaperon, tu m’entends ? Il est surtout pas question que vous
alli ez vous promener à gauche et à droite.
– Merci, p’ pa, dit Céline en se précipitant pour
embrasser son père sur la joue.
Quand
le petit Adrien Veilleux communiqua la bonne nouvelle à Clément le lendemain
matin, jour de la fête des Rois, ce dernier se
Weitere Kostenlose Bücher