Les années folles
demanda la vieille servante, soupçonneuse.
– Pour dire
vrai, je le trouve pas mal fin, répondit la jeune fille en s’efforçant de rougir.
La
ménagère du curé Lussier sourit, heureuse d’avoir deviné juste.
– Moi, personnellement,
ça me dérange pas que tu lui fasses les beaux yeux, même s’il est pas mal plus
vieux que toi. Mais on serait peut-être mieux d’en dire deux mots à monsieur le
curé. Oublie pas que c’est lui qui est responsable de toi pendant que t’es ici.
Gabrielle
Paré dissimula son déplaisir en entendant Agathe Cournoyer lui rappeler qu’elle
n’était pas encore libre de faire ce qu’il lui plaisait.
– On pourrait
peut-être attendre de voir si Germain est intéressé à me fréquenter avant d’en
parler à monsieur le curé, madame Cournoyer. Qu’est-ce que vous en pensez ?
– C’est
correct, ma fille, approuva la vieille dame. Fais donc ton sucre à la crème. On
dirait bien que t’as appris toute seule que le meilleur moyen d’attirer un
homme, c’est de le prendre par le ventre, ajouta-t-elle avec un fin sourire.
Le
lendemain matin, Gabrielle Paré, déjà vêtue de son manteau, guetta par la
fenêtre du salon l’arrivée à la basse-messe de Germain Fournier . Lorsqu’elle le vit s’engouffrer dans l’église,
elle sortit. La jeune fille s’arrêta près du boghei du célibataire pour déposer
un petit paquet sur le siège, sous l’épaisse couverture de fourrure. Ensuite, elle
entra dans le temple. En passant près de Germain, elle lui fit un signe timide
de la main avant d’aller s’agenouiller pieusement près de sa logeuse.
Après la messe, Fournier
fit un effort pour attendre la sortie des deux femmes et les saluer.
– Germain, fit
Gabrielle, tout sourire, je t’ai préparé un plat de sucre à la crème hier soir.
Je l’ai mis dans ton boghei avant la messe.
– Voyons donc,
protesta le jeune homme, ravi. Tu me gênes. Je sais pas comment te remercier, ajouta-t-il
en jetant un coup d’œil à Agathe Cournoyer, qui n’avait pas encore dit un mot.
– C’est bien
simple, dit la jeune fille. T’as juste à venir jouer aux cartes avec nous
autres après le souper.
Surpris par cette seconde invitation que la fin de la période des fêtes
ne justifiait plus, Germain Fournier demeura un instant sans réaction avant de
dire, d’une voix chargée d’émotion :
– Si ça vous
dérange pas, c’est sûr que je vais venir après le souper.
– Parfait, on
t’attend.
Le
célibataire se dirigea vers son boghei d’un pas guilleret pendant que les deux
femmes prenaient la direction du presbytère voisin.
– S’il a pas
compris tes intentions après ça, ma fille, dit Agathe Cournoyer, c’est qu’il
lui manque quelque chose entre les deux oreilles.
– Vous pensez
que je lui ai fait peur en étant aussi directe ? demanda Gabrielle, un peu
inquiète tout de même de s’être ainsi jetée à la tête du célibataire.
– En tout cas,
s’il a peur, il le cache bien, affirma la vieille ménagère en riant. Tu sais, malgré
tout ce qu’ils disent, les hommes sont pas aussi finauds qu’ils le pensent.
Ce
dimanche soir-là, Germain vint jouer aux cartes chez Agathe Cournoyer. La
vieille dame s’arrangea pour avoir la migraine une heure après l’arrivée du
jeune homme et elle conseilla à sa locataire de s’installer avec leur invité au
salon. Confortablement assise dans sa chaise berçante placée près de la porte
du salon, elle joua à la perfection son rôle de chaperon ce soir-là.
Avant de quitter
la maison un peu avant vingt-trois heures, Germain promit à Gabrielle de
revenir veiller avec elle le samedi suivant quand elle l’invita. Un pas important
avait été franchi : il n’avait pas attendu l’approbation d’Agathe
Cournoyer pour s’engager à revenir.
Quelques minutes
après le départ du jeune homme, cette dernière dit à Gabrielle :
– Je pense qu’on
a plus le choix. Demain, il va falloir demander à monsieur le curé ce qu’il
pense de tout ça.
Gabrielle
se contenta d’acquiescer en silence. Avant de s’endormir ce soir-là, elle fit
une brève prière pour que le curé Lussier ne vienne pas contrarier ses projets.
Il ne manquerait plus que le prêtre la retourne à l’orphelinat à cause de cela.
Ce serait la catastrophe. Après, la mère supérieure ne la laisserait plus
jamais sortir de l’institution avant ses vingt et un ans.
Le lendemain
avant-midi, après avoir mis
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