Les années folles
ses filles, je suis sûre qu’elle viendra pas me chercher pour lui donner
un coup de main. C’est une question de fierté, ma fille, surtout qu’on est
trois pour tout organiser.
– En tout cas,
une chance que tes noces sont loin, conclut Anne en train de préparer de la
pâte à tarte. On va au moins avoir le temps de retrouver notre souffle avant de
recommencer.
– À ta place,
je m’en ferais moins avec l’ouvrage à faire et un peu plus avec l’humeur de ton
père quand le voisin va être ici, dit la mère avec une voix d’où l’inquiétude
perçait. J’espère juste qu’il lui dira pas de bêtises.
– J’en ai
parlé à Clément, m’man. Son père lui a promis de se tenir tranquille. Peut-être
que vous pourriez dire deux mots à p’ pa ?
– Je vais
essayer, promit Yvette.
Ce soir-là, Yvette ne parvint pas à trouver le sommeil et s’agita au
point qu’Ernest finit par lui demander :
– Torrieu !
T’es comme un ver à chou à soir ! Veux-tu ben me dire ce qui t’empêche de
dormir ?
– Toi ! admit-elle.
– Comment « moi » ?
– Je suis
comme Céline. J’ai peur que tu gâches les fiançailles demain soir en te chicanant
encore une fois avec le père de Clément, et ça devant tous les enfants.
– Me
prends-tu pour un maudit sauvage ? s’emporta son mari en s’assoyant sur le
lit.
– Non, mais t’es
pas mal soupe au lait. Je voudrais pas que les jeunes puissent nous reprocher
un jour de pas leur avoir fait des belles fiançailles.
– Énerve-toi
pas avec ça, finit par dire Ernest, plus calme. Même si je lui aime pas la face,
je me chicanerai pas avec Tremblay.
Le
lendemain soir, il fut décidé qu’on ne dresserait pas les tables à l’extérieur,
de crainte que la fête familiale soit gachée par la pluie. Marcelle et sa
compagne préparèrent la table de la cuisine d’hiver avant de monter se mettre
au lit pendant qu’Yvette et Anne se chargeaient de celle de la cuisine d’été.
Dans le salon, Céline
et Clément discutaient sérieusement de leur avenir. Le lendemain, la jeune
fille allait avoir vingt et un ans et s’engager à attendre plusieurs mois celui
qui avait promis de l’épouser au début de l’été suivant. Dans un mois, elle
allait se retrouver seule parce que Clément partirait pour aller travailler
dans un chantier. L’épreuve ne serait pas facile à vivre, mais c’était le prix
à payer si le couple voulait avoir des moyens financiers suffisants pour s’établir.
Le souper de
fiançailles se déroula sans anicroche. Les deux pères se contentèrent d’échanger
le minimum de politesses et de se regarder en chiens de faïence pendant que les
autres invités animaient la fête.
Plus d’un mois s’était écoul é depuis que Germain Fournier avait
chassé Gabrielle de sa chambre. L’atmosphère dans la maison ne s’était guère
améliorée depuis cette fameuse scène où le jeune cultivateur s’était vidé le cœur
de toutes les frustrations vécues depuis son mariage. Il avait résisté à tous
les efforts de Gabrielle pour l’amadouer et le séduire. Chaque fois que sa
femme avait tenté de faire un pas dans sa direction, il s’était contenté de lui
tourner le dos . S’il n’y avait pas eu quelques bruits
de temps à autre dans la maison, on aurait pu croire cette dernière inhabitée. Quand
sa femme lui parlait, il faisait la sourde oreille. Si elle lui posait une
question, il répondait par monosyllabes ou pas du tout.
– Il boude, se
répétait parfois Gabrielle pour se réconforter. Ça va finir par lui passer.
Mais ça ne lui
passait pas. Germain ne pouvait pas oublier le « Tu me donnes mal au cœur »
de sa femme. Il ne lui adressait la parole que poussé par la nécessité. Il se
conduisait comme s’il continuait à vivre seul sur la ferme.
Le matin, il se
levait tôt, allait soigner ses bêtes, revenait déjeuner et partait travailler
sans avoir ouvert la bouche sinon que pour se nourrir. S’il devait aller au
village ou à Pierreville, Gabrielle ne l’apprenait qu’en voyant passer la
voiture sous ses fenêtres. Chaque soir, après le souper, son mari allait se réfugier
sur le balcon qu’il ne quittait qu’au moment d’aller se mettre au lit.
Ce matin-là, le
visage blême, la jeune femme éprouva un besoin pressant de parler à quelqu’un. Elle
n’avait jamais autant regretté d’avoir fui toute relation avec ses voisines.
Après quelques
tentatives de voisinage,
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