Les années folles
Dépêche-toi
et oublie rien.
Les
quatre adultes gardèrent un silence embarrassé durant les quelques minutes que
dura l’absence de l’adolescent qui revint avec un marteau, deux grosses clés
anglaises et deux scies à métaux.
– Va porter
ça dans le boghei de monsieur Gendron, lui ordonna sèchement son père.
Son
fils s’exécuta, trop heureux de s’éloigner de la ceinture que son père tenait
encore à la main.
– Bon. Tout
est correct, monsieur Tougas, déclara Hubert Gendron, magnanime. Merci pour
votre aide. Je pense qu’on a retrouvé tout ce qui était disparu sur le chantier.
Pas vrai, Aurèle ?
– Oui, monsieur
Gendron, répondit le contremaître.
– Toi, va m’attendre
dans la maison, ordonna Antonius à son fils en lui montrant la porte de la
cuisine.
Emma
Tougas s’écarta pour laisser passer son fils levant elle. Elle semblait aussi
furieuse que son mari.
– Vous pouvez
être certain qu’il va en manger toute une, promit
le fermier aux deux visiteurs. Il nous fera plus jamais honte comme ça.
L’ingénieur et le contremaître s’empressèrent de monter dans le boghei
et de quitter les lieux.
Ce soir-là, Hubert
raconta à Claire la scène à laquelle avait assisté chez les Tougas le matin
même, en affirmant qu’il ne regrettait pas un seul instant de ne pas avoir mêlé
la police aux vols qui avaient eu lieu sur le chantier.
– J’ai
seulement peur que le père se contrôle plus et finisse par estropier son garçon,
conclut-il.
– T’as pas à
trop t’inquiéter pour ça, le rassura Claire , C’ est
bien connu dans la paroisse qu’Antonius et Emma parlent pas mal plus qu’ils
agissent. Si ça se trouve, leur Emile a même pas eu une bonne taloche de plus
que ce que t’as vu. C’est pas pour rien qu’ils ont autant de misère avec leurs
garçons. Ils sont pas assez sévères.
– Leurs fils
sont si pires que ça ?
– Pour te
donner une idée, aussitôt que quelque chose disparaît dans la paroisse, on les
suspecte. On a pitié Antonius et de sa femme, mais on les excuse pas. Moi, je
pense que leur Emile, surtout, va mal finir s’il continue comme ça.
Chapitre 28
La fin de l’été
Les
journées se mirent à raccourcir beaucoup plus rapidement que les gens ne l’auraient
désiré lorsque septembre survint. Déjà, les extrémités des feuilles de certains
érables commençaient à jaunir et la rosée du matin mettait plus de temps à
sécher sous les rayons d’un soleil de moins en moins vigoureux.
Peu à peu, les
jardins étaient vidés de leurs légumes. Dans la plupart des maisons du rang
Sainte-Marie, les cuisinières avaient déjà mis en conserve des betteraves, des
tomates et des haricots. Elles avaient aussi longuement laissé mijoter sur leur
poêle à bois le ketchup rouge et le vert, dont les pots s’alignaient maintenant
dans les garde-manger. Il n’y avait pas de temps à perdre. Il n’était pas question
de laisser se gâter les pommes prêtes à être cueillies. La compote allait bientôt
prendre place à côté des pots de confiture de fraises et de framboises.
À la sortie du village, les piliers du pont
avaient été coulés et les coffrages, défaits. On en était à installer l’armature
métallique. Il ne faisait maintenant plus aucun doute pour les habitants de la
région que le pont de Saint-Jacques-de-la-Rive allait être terminé avant la fin
de l’automne. Depuis quelques semaines, les résidants du village s’étaient
habitués à voir, chaque soir, la vieille Agathe Cournoyer, toujours un peu voûtée,
faire une courte promenade jusqu’au chantier en compagnie de la nouvelle
ménagère du curé Lussier. Hortense Dagenais s’était très rapidement adaptée à
son nouveau milieu et semblait s’entendre à merveille avec l’ancienne servante
chez qui elle demeurait. De temps à autre, les deux dames accueillaient sur
leur balcon Hélèna Pouliot, après la fermeture de son épicerie.
En ce début de
septembre, le village avait tout de même pris une allure toute nouvelle depuis
qu’on avait commencé la construction du trottoir en bois.
Lors de la
dernière assemblée du conseil de la municipalité, on avait accepté presque à l’unanimité
d’ériger les deux cent cinquante pieds de trottoir grâce à une corvée, pour
faire baisser les coûts de l’opération. On s’était mis au travail dès la première
semaine de septembre afin d’éviter d’être pris de vitesse par les pluies
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