Les années folles
à tabac. Le petit
homme noueux ne disait pas un mot.
– Oh non, mon
garçon ! s’exclama finalement la mère de famille en haussant le ton. Ton
père a pas besoin de toi cet hiver et tu vas faire ta septième année, comme l’ont
faite avant toi tes frères et tes sœurs. Tu vas avoir ton diplôme, comme les autres.
– Mais m’man,
je vais avoir quatorze ans le mois prochain ! protesta Léo.
– Tu m’as
entendue ? Je reviendrai pas là-dessus. Grouille-toi. Monte dans ta chambre
et va me chercher tes pantalons propres.
Le
garçon, furieux, monta à l’étage en claquant des talons pour bien montrer sa mauvaise
humeur.
– Veux-tu ben
me dire ce que ça va lui donner de plus ce diplôme-là ? demanda Ernest à
sa femme sur un ton désapprobateur.
– Aujourd’hui,
c’est nécessaire d’être instruit, Ernest Veilleux, fit sa femme. C’est plus
comme dans notre temps.
– Ouais, une
maudite bonne affaire, l’instruction ! Regarde ce que ça nous a donné
aussi. Marcelle est entrée chez les sœurs. Albert s’est servi de son diplôme
pour entrer au Canadien Pacifique. Maurice est chez les frères. L’histoire dit
pas que Jérôme va passer toute sa vie sur notre terre, lui aussi.
– Inquiète-toi
donc pas pour ça, le calma Yvette. Jérôme aime travailler la terre. Léo et
Jean-Paul ont l’air d’aimer ça autant que lui. En plus, t’as juste à regarder
Albert quand il vient nous donner un coup de main. Il y a rien qui dit qu’il
reviendra pas un jour pour de bon. Je suis prête à te gager qu’il s’ennuie de
la vie à la campagne.
– Ouais, admit
son mari d’un air peu convaincu.
– L’important
est qu’on va pouvoir dire à tout le monde que nos enfants ont reçu de l’instruction.
D’autant plus qu’avec Jérôme qui est pas encore en âge de vouloir aller au
chantier, tu l’aurais dans les jambes, à rien faire, durant tout l’hiver.
– C’est
correct, accepta son mari avant de sortir de la maison. Quand t’en auras fini
avec lui, envoie-le rejoindre Jean-Paul et Jérôme dans le poulailler. Moi, je
commence à faucher l’orge cet après-midi.
Une
minute plus tard, Léo apparut dans la cuisine d’été dans un pantalon beaucoup
trop petit pour lui. Il se planta devant sa mère, le visage buté.
– Seigneur !
s’exclama sa mère en feignant de ne pas remarquer sa mauvaise humeur. On aura
pas le choix. Tu vas donner ces pantalons-là à Jean-Paul. Je suis sûre qu’ils
vont lui faire et tu vas mettre tes pantalons du dimanche pour aller à l’école
cette année. Après les fiançailles de Céline, je vais t’en faire une autre
paire. Tu peux aller te changer et aller rejoindre tes frères dans le
poulailler.
Par
la fenêtre, elle regarda son fils se diriger vers le poulailler. Elle avait soudain
les larmes aux yeux. Elle venait de penser à son petit Adrien qu’elle n’aurait
pas à préparer pour l’école cette année. À la pensée de son petit garçon
disparu depuis six mois déjà, le cœur lui faisait atrocement mal. Il n’y avait
pas une journée où elle n’avait pas pensé à lui depuis sa mort tragique. Elle n’en
parlait pas et tous les siens en faisaient autant, probablement parce que ce
départ les faisait encore trop souffrir. En entendant ses filles remuer dans
son dos , elle se secoua et s’essuya subrepticement
les yeux avec un coin de son tablier avant de se retourner vers elles.
La mère de famille
leur distribua des tâches pour l’après-midi. Elle tenait à ce que tout soit
prêt pour le dîner donné à l’occasion des fiançailles de sa fille deux jours
plus tard. La planification de l’événement était compliquée par l’arrivée de sa
fille Marcelle. Sœur Gilbert serait accompagnée, comme toujours, par une consœur.
Il y avait même de
fortes chances pour que Maurice, le frère mariste, vienne assister aux
fiançailles de sa sœur. En fait, Albert était le seul à n’avoir pu se libérer
pour venir.
– On aurait
dû accepter l’aide de madame Tremblay, déclara Céline à sa mère. Après tout, ils
vont être huit dans la famille de Clément à venir dîner dimanche.
– Neuf.
– Comment ça,
neuf ?
– La mère de
Clément a demandé si ça nous dérangeait que Claire vienne en compagnie de son
ingénieur.
– C’est une
raison de plus pour nous aider, reprit la future fiancée.
– Il en est
pas question, trancha Yvette sur un ton sans appel. Quand la voisine va fiancer
une de
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