Les années folles
capable d’en faire autant
qu’avant.
Antoine
Lussier la regarda avec compassion. Brusquement, il se rendit compte que la
veuve d’Armand Cournoyer était sa ménagère depuis plus de quinze ans et qu’elle
avait dix ans de plus que lui.
– C’est sûr
qu’on rajeunit pas.
Au
moment où le prêtre allait retraiter dans le couloir, sa cuisinière l’arrêta.
– Ça fait un
bout de temps que je veux vous en parler, monsieur le curé. Le presbytère est
rendu trop grand à entretenir pour moi toute seule. J’y arrive plus. Faire l’ordinaire
et le ménage, c’est trop pour une femme de mon âge.
– On peut
toujours demander à madame Drolet de venir plus souvent qu’une fois par mois
vous donner un coup de main pour les gros travaux, proposa spontanément le
prêtre.
– Je suis
certaine que ça ferait l’affaire de cette pauvre Elisa Drolet avec ses trois
jeunes enfants à nourrir et son mari estropié qui peut presque rien faire, mais
elle peut pas venir ici tous les jours, et c’est tous les jours que j’aurais
besoin d’aide.
Les
Drolet, voisins du maire Giguère dans le rang Saint-Pierre, n’avaient pas la
vie facile depuis le retour de la guerre du jeune père. Edmond Drolet avait été
sérieusement blessé par un éclat d’obus et était revenu du front avec un pied
en moins. Depuis trois ans, l’invalide effectuait des travaux de cordonnerie et
de sellerie pendant que sa femme cousait et faisait des gros travaux ménager s au presbytère et chez certains
retraités du village. Même s’ils n’arrivaient que très difficilement à nourrir
leurs trois jeunes enfants, les Drolet étaient trop fiers pour accepter la
charité de leur entourage.
– Tous les
jours ? s’étonna le pasteur.
– Bien oui, monsieur
le curé. Ce qu’il me faudrait, c’est quelqu’un qui vienne m’aider tous les
jours. Je pourrais lui apprendre ce qu’il faut faire et, au printemps, je pourrais
enfin m’arrêter.
– Si
vous arrêtez, qui est-ce qui va venir vous remplacer ? On a beau dire qu’il
y a personne d’irremplaçable, je vois pas qui serait aussi bonne cuisinière que
vous.
Agathe
Cournoyer eut un mince sourire narquois.
– Essayez pas
de m’avoir avec des compliments, monsieur le curé, le prévint-elle. Je suis
trop vieille pour me faire avoir avec ça.
– À moins qu’une
communauté de religieuses de Nicolet soit prête à m’envoyer une de ses sœurs, fit
le prêtre d’une voix songeuse.
– Je vous
avertis tout de suite, monsieur le curé, déclara tout net Agathe Cournoyer. Si
une sœur s’installe dans ma cuisine, moi, je pars. Je les connais, nos bonnes sœurs.
Aussitôt arrivée, une religieuse va me donner des ordres du matin au soir et j’ai
passé cet âge-là.
– Sans
compter qu’il faudrait la loger chez les sœurs du couvent, ce que la supérieure
acceptera certainement pas de gaieté de cœur.
Un
long silence s’installa entre le prêtre et sa cuisinière, debout de part et d’autre
de la table placée au centre de la cuisine.
– Pour me
remplacer, j’ai une idée qui me trotte dans la tête depuis un bon bout de temps,
reprit finalement Agathe Cournoyer. Mais je sais pas si ça va vous convenir.
– Dites
toujours.
– Vous vous
rappelez qu’une de mes cousines est une sœur Grise qui s’occupe des enfants de
l’orphelinat de Saint-Ferdinand.
– Oui. Vous m’en
avez déjà parlé. Mais il me semble que vous m’aviez dit qu’elle était assez
âgée.
– C’est vrai,
mais je pensais pas à elle pour me remplacer, monsieur le curé. Quand je l’ai vue
le printemps passé, elle m’a parlé de jeunes filles qui avaient été élevées à
Saint-Ferdinand et qui restaient avec les sœurs pour les aider aux cuisines et
à faire le ménage. Elle disait qu’elle en connaissait deux ou trois tout près
de la vingtaine qui étaient pieuses, vaillantes et bonnes cuisinières. Il
paraît que ça arrive que les sœurs les envoient travailler dans des familles
qui ont besoin d’aide. J’ai pensé que vous pourriez peut-être demander à la
supérieure de l’orphelinat de vous en envoyer une.
– C’est pas
si simple que ça, madame, répliqua le curé Lussier, peu enthousiasmé par l’idée.
Monseigneur acceptera jamais qu’une jeune fille couche seule au presbytère. Vous
connaissez sûrement des paroissiens mal intentionnés qui se dépêcheraient de partir
des ragots… Non, je pense pas que ça puisse se
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