Les années folles
pourrait
peut-être vous intéresser, fit le jeune homme en se contentant de déboutonner
son manteau avant de s’asseoir sur la chaise que lui avait avancée son voisin.
Sur
un signe de sa mère, Anne prépara deux tasses de thé qu’elle déposa devant son
père et le voisin. Germain eut un second mouvement de recul imperceptible en
apercevant la coupe de cheveux de l’adolescente et il jeta un coup d’œil rapide
à sa sœur pour s’assurer que toutes deux avaient perdu, il ne savait trop
comment, les épaisses et longues crinières qu’il avait plus d’une fois
remarquées.
En quelques mots, Germain
Fournier expliqua à son voisin les principes de la collecte communautaire du
lait et l’importance de construire rapidement une plate-forme pour y déposer
ses bidons de lait, s’il décidait de participer.
– Qui a eu
cette idée-là ? demanda Ernest, soupçonneux.
Germain
fut aussitôt sur ses gardes. Il devina instinctivement que s’il disait que l’idée
venait d’Eugène Tremblay, son hôte refuserait carrément de participer.
– Je le sais
pas trop, mentit-il. J’ai entendu dire que le maire avait parti l’idée de faire
cette affaire-là dans Saint-Pierre.
En entendant parler du maire, le beau-frère d’Eugène Tremblay, la
figure d’Ernest Veilleux se crispa.
– T’es sûr
que c’est pas Tremblay qui a eu cette idée-là pour notre rang ?
– C’est ben
possible, monsieur Veilleux, reconnut Germain, mal à l’aise.
– C’est lui
qui t’en a parlé ? demanda le cultivateur, soupçonneux.
– Oui. Mais
vous savez que tous les cultivateurs de notre rang trouvent que ça a ben de l’allure
et ils embarquent tous. Ils sont tous contents de gagner du temps. Ils sont
comme moi, ça les intéresse de pas être obligés d’atteler tous les matins pour
aller porter leur lait à la fromagerie et…
– Ça
commencerait quand ? le coupa Ernest Veilleux, d’un ton abrupt.
– Lundi
prochain.
– Si vite que
ça ?
– D’après ce
qu’on m’a dit, tous les autres ont accepté, poursuivit Germain Fournier pour
tenter de convaincre son vis-à-vis.
– Bon. Je
vais y penser.
– On
m’a dit que le premier du rang commencerait. Comme Tougas a pas assez de lait
pour participer, je pense que Pierri va commencer lundi prochain, conclut Germain.
Il
y eut un bref silence et Germain se leva, déjà prêt à partir.
– As-tu l’intention
de faire boucherie cette année ? lui demanda Yvette Veilleux pour faire
diversion.
– Il va ben
le falloir, même si je suis tout seul, madame Veilleux.
– Tu vas tuer
une vache ?
– Non. Je
perdrais ben trop de viande. Non, je pense que je vais me contenter d’un de mes
cochons.
– J’espère
que tu perdras pas la main, lui fit aimablement remarquer Yvette. Ta mère m’a
souvent dit qu’il y avait pas meilleur que toi pour couper la viande.
Germain rougit
légèrement sous le compliment.
– Moi, j’ai
pas le tour de main qu’il faut, intervint Ernest. On dirait que les morceaux
que je prépare sont jamais ben coupés. Dis donc. J’y pense tout à coup. Ça te
tenterait pas de faire boucherie avec nous autres ? Cette année, j’ai une
vache ben engraissée et un cochon à tuer. Si tu viens nous donner un coup de
main, on pourrait te donner un quartier de notre vache et ça te changerait de
manger toujours du lard .
Germain Fournier n’hésita
qu’un bref moment avant de donner son accord.
– Correct, mais
vous me laisserez fumer votre lard dans
mon fumoir. Je vous promets que vous all ez vous souvenir longtemps du jambon que vous allez manger cet hiver.
– C’est
parfait. À la première journée de gel, on va faire
ça, conclut Ernest sur un ton satisfait avant que Germain quitte la maison.
Pendant
qu’Ernest Veilleux accompagnait son voisin jusqu’à sa voiture, Anne ne put s’empêcher
de faire remarquer à voix basse à sa sœur :
– Je te dis
qu’il embellit pas, lui.
– Anne !
Arrête de dire des niaiseries, la réprimanda sa mère qui avait entendu sa
réflexion. Germain est peut-être pas une beauté, mais c’est un bon travaillant.
Il finira bien par se trouver une femme pour prendre soin de lui. Tu sauras, ma
fille, que chaque torchon trouve sa guenille et que la beauté, c’est pas tout
dans la vie.
– Il serait
peut-être pas si pire s’il s’arrangeait un peu, intervint Céline, conciliante.
– Et s’il
avait l’air moins bête, chuchota sa jeune sœur en
Weitere Kostenlose Bücher