Les années folles
faire.
– Mais si je
prenais la fille en pension chez moi, personne aurait rien à redire, monsieur
le curé. Elle travaillerait avec moi toute la journée, et le soir, elle
viendrait coucher à la maison.
Antoine
Lussier poussa un profond soupir avant de rendre les armes.
– Bon. Je
peux toujours essayer. Ça coûte rien de le faire.
– C’est sûr. Si
la fille fait pas l’affaire, on aura juste à la renvoyer à l’orphelinat, suggéra
la ménagère, réaliste.
– Je vais tout
de même écrire à Saint-Ferdinand, dit le curé. On verra bien ce que la
supérieure va décider. Peut-être voudra-t-elle pas se séparer d’une de ses
filles.
Ce
dimanche-là, durant le souper, Antoine Lussier prévint son vicaire qu’il avait
l’intention de commencer enfin sa visite paroissiale annuelle dès le lendemain
avant-midi, comme il l’avait annoncé en chaire à la grand-messe, le matin même.
– J’en ai
pour une dizaine de jours, conclut le curé. Ça veut dire, l’abbé, que vos visites
des écoles devront attendre un peu. J’ai besoin de vous au bureau pendant que
je suis sur le chemin. Je ferai pas comme l’année passée quand mon vicaire et
moi partions tous les deux et laissions le presbytère vide durant une partie de
la journée. Il faut que vous soyez ici pour les urgences.
– Il y a pas
de problème, monsieur le curé. J’ai prévenu les maîtresses d’école que je
viendrais voir si les enfants apprenaient bien leur catéchisme une fois par
mois. Ma tournée peut attendre une dizaine de jours.
– Parfait. Je
suis déjà en retard d’une semaine, ajouta Antoine Lussier. Je voudrais pas être
pris à visiter pendant les premières neiges. Et puis, plus je retarde, plus
certains vont en profiter pour oublier de payer leur dîme.
– Par
quel rang allez-vous commencer, monsieur le curé ? demanda l’abbé Martel.
– L’année
passée, j’ai commencé par le village. Cette année, je vais commencer à l’autre
bout du rang Sainte-Marie l’avant-midi et l’après-midi, je vais faire le rang
des Orties en partant du village. Comme ça, il y aura pas de jaloux.
– Ça va vous
faire pas mal de route à couvrir, monsieur le curé. Si vous le voulez, je
pourrai vous remplacer quand vous serez fatigué.
– Vous êtes
bien serviable, l’abbé, mais c’est le rôle d’un curé d’aller rencontrer ses
paroissiens chez eux au moins une fois par année. En plus, cette année, j’ai demandé
à notre bedeau de me servir de cocher. Comme ça, j’aurai pas à me préoccuper du
cheval et de la voiture, d’autant que notre nouvelle bête m’a l’air pas mal
nerveuse.
– Vous avez
pas peur que monsieur Groleau gèle à vous attendre dehors ?
– Ne vous
inquiétez pas pour Joseph Groleau. Je le connais assez pour savoir qu’il ne se
laissera pas mourir de froid.
Le lundi matin, il était à peine neuf heures et demie quand le boghei
du curé Lussier entra dans la cour des Veilleux. Le prêtre et son vieux cocher
étaient engoncés dans de lourds manteaux et ils portaient tous les deux un
casque de fourrure à oreillettes. De la buée sortait de leur bouche.
Le ciel était
dégagé et le mercure était descendu bien au-dessous du point de congélation. Dans
le rang Sainte-Marie, la route de terre était aussi dure que de la pierre et
les profondes ornières laissées par les pluies abondantes d’octobre rendaient
les déplacements passablement inconfortables.
Vêtue de sa robe
du dimanche, Yvette Veilleux attendait avec impatience son visiteur depuis plus
d’une heure. Elle se doutait que le cousin de son mari allait commencer sa
visite paroissiale par la dernière maison du rang Sainte-Marie. C’ est ce qu’il faisait tous les trois ans.
Dès le lever, elle
avait houspillé les siens pour que le déjeuner soit servi le plus tôt possible,
de manière à avoir le temps de ranger la maison avant l’arrivée du prêtre. – Anne
a choisi son temps pour aller aider aux relevailles de sa cousine Agnès, avait-elle
grommelé, mécontente, en préparant le déjeuner avec Céline. J’aurais eu bien
besoin d’elle pour nous aider.
La veille, même si
c’était dimanche, la mère et sa fille avaient effectué un ménage complet de la
maison avec l’aide réticente de Léo et de Jean-Paul. Pour l’occasion, le salon
avait été particulièrement bien frotté.
– Voyons
donc, m’man ! avait protesté Céline devant l’ampleur du nettoyage imposé. Vous
savez
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