Les années folles
aussi dru et le vent ne s’était pas calmé. Ils eurent même du mal à
parcourir les quelques pieds qui les séparaient de l’étable.
Lorsqu’ils
finirent de traire et de nourrir la quinzaine de vaches, l’obscurité était définitivement
tombée. Après être allés voir au poulailler si les poules avaient suffisamment
à manger, le père et le fils prirent le chemin de la maison. Au moment où ils
allaient mettre le pied sur la première marche de l’escalier conduisant au balcon,
ils entendirent des cris en provenance de la route. Ernest Veilleux s’arrêta et
fouilla les ténèbres qui l’entouraient en se protégeant les yeux du mieux qu’il
pouvait de la neige qui tombait. Jérôme se pencha vers son père et hurla pour
se faire entendre :
– Avez-vous
entendu des cris, p’ pa ?
– Ouais. Je
me demande qui…
Le
cultivateur n’eut pas à s’interroger plus longtemps. Brusquement, il vit apparaître
le petit traîneau de Philibert Dionne tiré par huit gros chiens. L’étrange attelage
vint s’arrêter près de la maison après que le postier eut crié un ordre à ses
bêtes. Adrien, Léo et Jean-Paul Veilleux descendirent du traîneau en riant.
– Veux-tu me
dire ce que tu fais sur le chemin en pleine tempête, Philibert ? lui cria
Ernest Veilleux en voyant l’homme couvert de neige attacher son traîneau au
garde-fou du balcon. Arrive. Entre te réchauffer un peu dans la maison.
Les
jeunes, excités, s’étaient déjà précipités à l’intérieur. Philibert Dionne précéda
Ernest et son fils Jérôme à l’intérieur en n’accordant aucune attention aux jappements
de ses chiens. Tout ce monde se secoua sur le paillasson.
– Merci pour
mon plancher propre, fit Céline, mécontente de voir autant de neige le souill er.
– C’est juste
de la neige, énerve-toi pas, rétorqua Jérôme.
– Envoyé, Philibert,
ôte ton manteau et viens boire un petit remontant, fit Ernest en enlevant ses bottes .
Le
postier ne se fit pas prier pour enlever son lourd manteau de chat sauvage et
sa tuque pendant que son hôte sortait une bouteille de caribou de l’armoire et
lui en versait une bonne rasade.
– Ça, ça
réchauffe le Canayen, dit le postier avec enthousiasme après avoir avalé le
contenu de son verre.
– Tu m’as
toujours pas expliqué pourquoi t’es sur le chemin à la noirceur ? lui demanda
Ernest en versant un second verre à son invité.
Le
petit homme rondelet à la calvitie bien marquée avala la moitié de son second
verre avant de répondre à son hôte.
– Comme tu
peux voir, j’ai pris le chemin pour aller reconduire les enfants pognés à l’école,
finit-il par répondre.
– T’es pas si
pressé que ça, assis-toi une minute, l’invita Yvette qui venait de la chambre
située au pied de l’escalier.
Philibert
Dionne accepta l’invitation et prit un siège.
– Je
finissais de passer la malle à midi quand je me suis fait pogner par la tempête.
J’étais en boghei et j’ai eu toute la misère du monde à rentrer à la maison. Quand
je me suis arrêté à l’école du village, la petite Dandurand m’a dit qu’elle
avait déjà envoyé les enfants qui restaient le plus près de l’école, mais qu’elle
gardait les autres parce que c’était trop dangereux de les envoyer sur le
chemin avec la tempête qui commençait. Je lui ai dit que j’étais pour attendre
chez nous jusqu’à la fin de l’après-midi et que si c’était pas calmé à ce
moment-là, j’attellerais mes chiens à mon petit traîneau, comme je le fais
chaque fois que les chemins sont laids, l’hiver. Je lui ai promis que je
viendrais chercher les enfants pour les ramener chez eux. C’ est ce que j’ai fait avec les petits Tremblay à
côté tout à l’heure. Quand j’ai vu que t’étais pas venu chercher les tiens, j’ai
fait la même chose avec eux autres.
– J’étais
prêt à y aller avec la sleigh avant le souper, répliqua Ernest, qui avait senti
une sorte de blâme dans la dernière phrase du vieux postier.
– Tu serais
jamais passé, déclara Philibert Dionne, sûr de lui. Il y a des places où le
vent a fait des bancs de neige de trois à quatre pieds de haut au milieu du chemin.
Même mes chiens ont eu de la misère à passer. Je te le dis, on voit même plus
les piquets de clôture à ben des places. C’est pas mal dangereux de sortir de
la route.
– En tout cas,
t’es ben smatte de nous avoir ramené les jeunes, le remercia
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