Les années folles
C’était juste une roche qui le faisait boiter. J’en
ai profité pour acheter des clous chez Hélèna.
– As-tu fini
par savoir qui a été élu marguillier ?
– Ben oui.
– Qui est-ce ?
– Le
petit Drolet du rang Saint-Pierre, annonça Eugène sans la moindre trace de
dépit dans la voix.
– T’es pas
trop déçu, j’espère ?
– Pantoute.
Thérèse Tremblay regarda durant un bref moment son mari en train de bourrer
paisiblement sa pipe et elle crut comprendre. Il ne lui mentait pas en affirmant
qu’il n’était pas déçu. L’important pour lui était qu’Ernest Veilleux n’ait pas
été élu. Il trouvait probablement plus de plaisir à imaginer l’amère déception
de son voisin qu’il en aurait peut-être eu à être élu au conseil de la fabrique
paroissiale.
Chapitre 11
La première tempête
Le
mercredi suivant, à la fin de l’avant-midi, Ernest Veilleux et son fils Jérôme
venaient à peine de quitter Pierreville après avoir livré deux cordes de bois à
une cliente lorsque le vent se leva et se mit à souffler du nord. Immédiatement,
le froid se fit plus cinglant. Le ciel, uniformément gris depuis deux jours, vira
progressivement au noir. Le cheval dut sentir ce changement brusque de
température parce qu’il devint plus nerveux.
– Whow !
Whow ! hurla le conducteur pour le calmer en tirant légèrement sur les
guides.
– Je pense qu’il
va neiger, p’ pa, fit l’adolescent en enfonçant plus
profondément sa casquette sur sa tête.
– Ça s’en
vient, c’est sûr, lui affirma son père. On va en avoir toute une. Regarde, le ciel est en train de devenir
tout noir. Quand ça va se mettre à tomber, on a intérêt à pas traîner dans le
chemin.
Comme
si le ciel n’attendait que ce signal, les premiers flocons se mirent à virevolter
dans l’air. Puis, en quelques instants, l’horizon disparut. La nature se déchaîna.
La neige se mit à tomber de plus en plus dru, poussée à l’horizontale par un
vent hurlant.
Stupéfaits, les
Veilleux se retrouvèrent prisonniers d’une sorte de rideau opaque et glacé qui
leur coupait le souffle et les aveuglait en même temps.
– Torrieu !
jura Ernest Veilleux, la tête enfoncée dans son col de manteau qu’il avait
relevé précipitamment. On voit même plus le chemin.
Il enfonça plus
profondément sa casquette de drap après en avoir abaissé les oreillettes et il
plissa les yeux pour ne pas se laisser aveugler par la neige. Il dut tout de
même ralentir encore son attelage pour ne pas risquer de sortir de la route et
verser dans le fossé. À ses côtés, Jérôme se protégeait le visage
du mieux qu’il le pouvait avec son écharpe de laine.
Les quelques
milles qui restaient à franchir jusqu’à la ferme leur parurent durer une
éternité, et c’est complètement frigorifiés que le père et le fils finirent par
arriver à la maison, au bout du rang Sainte-Marie. En pénétrant dans la cour, Ernest
cria à son fils :
– Il était
temps qu’on arrive ! On va dételer devant la remise et laisser la voiture
là. J’ai ben l’impression qu’elle servira pas avant le printemps prochain.
Quelques
minutes plus tard, Ernest et Jérôme s’empressèrent d’entrer dans la maison
après un bref arrêt sur le balcon pour se débarrasser de la plus grande partie
de la neige qui les couvrait.
– Seigneur !
s’exclama Yvette en venant les accueillir à la porte. J’ai bien pensé que vous
vous arrêteriez quelque part en chemin pour vous mettre à l’abri. J’ai jamais
vu une tempête arriver si vite.
– Ça a
commencé à tomber juste après qu’on soit sorti du village, dit Ernest avec
mauvaise humeur en retirant son manteau. Ça aurait servi à rien de s’arrêter là.
T’imagines un peu de quoi va avoir l’air le chemin quand ça va arrêter de
tomber. J’ai ben l’impression que c’est parti pour des heures.
– En tout cas,
organisez-vous pas pour mettre de la neige partout sur mon plancher. Céline l’a
lavé après le déjeuner.
Ernest
ne dit rien. Il se dépêcha d’aller se verser une tasse du thé que sa femme
gardait toujours au chaud sur le poêle avant de s’asseoir dans sa chaise
berçante placée à la droite du poêle, devant l’une des fenêtres.
– Il faisait
tellement noir qu’on a été obligées d’allumer la lampe à huile, reprit Yvette
en venant rejoindre Anne et Céline, debout près de la table, en train de préparer
le dîner.
Ernest
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