Les années folles
avait soulevé un coin du rideau de la fenêtre et scrutait la
route.
– J’espère
que la petite Dandurand va être assez intelligente pour garder les enfants à l’école,
dit-il en parlant de la jeune institutrice. On voit même pas de l’autre côté du
chemin. J’ai même de la misère à voir notre boîte à lettres.
– La
maîtresse d’école est pas folle, le rassura Yvette. Elle laissera jamais les
enfants prendre le chemin dans une tempête pareille. Jérôme, quand tu te seras
assez réchauffé, tu me rempliras le coffre à bois, lui demanda sa mère en se
tournant vers l’adolescent qui ne cessait de se frotter les mains au-dessus du
poêle pour les réchauffer.
À
l’extérieur, les hurlements du vent devenaient assourdissants et déjà la neige
s’accumulait au pied des obstacles. Dans la cuisine, la chaleur dégagée par le
poêle à bois procurait une réconfortante impression de sécurité. Anne
abandonnait sa tâche de temps à autre pour aller voir par la fenêtre.
– Ça te sert
à rien de manger les fenêtres, la réprimanda sa mère. Il y a rien à faire que d’attendre
que ça finisse.
On
dîna à l’heure habituelle chez les Veilleux. Après sa sieste, Ernest décida de
sortir de la maison.
– Viens, Jérôme,
dit-il à l’adolescent. On va aller voir avant qu’il fasse trop noir si la
gratte est correcte et en même temps, on va vérifier la sleigh.
Tous les deux s’emmitouflèrent et quittèrent la maison, penchés vers l’avant
pour lutter contre le vent violent qui soufflait. La neige arrivait déjà à la
hauteur de la seconde marche de l’escalier et elle s’était accumulée sur le
balcon.
– Vous
devriez les voir aller, m’man, fît Céline
qui avait toute la peine du monde à apercevoir son père et son frère se diriger
vers la grange. Ils ont de la misère à avancer tellement il vente fort. Je peux
même pas voir l’étable d’ici.
Ernest
et son fils, de la neige à mi-jambes, parvinrent à se rendre à la grange et ils
firent glisser la porte sur son rail. Dès qu’ils furent entrés dans le bât iment, le père s’empressa de la refermer
avant que la neige s’engouffre dans les lieux et il alluma le fanal suspendu à
un clou près de l’entrée.
Les deux hommes
tirèrent dans un espace dégagé ce qu’ils appelaient la gratte. Il s’agissait d’un
appareil rudimentaire constitué de trois épais madriers d’une douzaine de pieds
de longueur reliés entre eux par des travers solides. On fixait aux deux
extrémités de l’ensemble des chaînes de longueur inégale qu’on attachait au
harnais d’un ou de deux chevaux. Le tout était lourdement lesté. Les madriers, tirés
en oblique, repoussaient alors la neige sur le côté. Depuis plusieurs
générations, les fermiers de la région se servaient de ce type d’appareil tant
pour repousser la neige qui les empêchait d’avoir accès à leurs bât iments que pour déneiger la portion de
route qui longeait leur ferme, comme la loi les obligeait à le faire.
Après vérification, la gratte des Veilleux semblait en bon état et
prête à servir.
– Quand ça se
calmera, déclara le père de famille, on attellera les chevaux et on la passera.
Pas avant. Pour l’instant, on va nettoyer un peu la sleigh.
Le
père et le fils eurent beaucoup plus de mal à dégager le traîneau en bois monté
sur des patins élevés parce qu’on y avait empilé toutes sortes d’objets depuis
le printemps précédent.
– Je l’avais
dit à ta mère qu’on aurait été ben mieux de la mettre dans la remise avec le
boghei et la charrette, dit Ernest, mécontent. Si on avait fait ça, on serait
pas pognés à tout enlever ce maudit barda-là.
Durant
plusieurs minutes, le père et le fils travaillèrent à la seule lueur du fanal, dans
la grange où le vent finissait par s’infiltrer en rugissant.
– Pendant qu’on
y est, on est aussi ben de sortir le gros traîneau aussi. On va finir par en
avoir besoin, dit Ernest à son fils en dégageant avec effort un large traîneau
en bois massif, qui servait habituellement au transport du bois ou des charges.
Lorsqu’ils
eurent fini, Ernest tendit le fanal à son fils.
– Aussi ben
aller à l’étable tout de suite et se débarrasser du train. C’est presque l’heure
de toute façon. Après, on s’encabanera, à moins d’être obligés d’aller chercher
tes frères à l’école.
À leur sortie de la grange, la neige tombait
toujours
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