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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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on les précipitait par les fenêtres sur les pavés de la cour. On poursuivait à travers les rues voisines les défenseurs du Château qui avaient réussi à en sortir. Tout ce qui, passant dans le quartier, ressemblait à un aristocrate avait grande chance d’être appréhendé, malmené sinon mis à mort. Dans la rue Traversière-Saint-Honoré, les ouvrières de M me  Amé, la lingère de Lise, cachées derrière leurs jalousies au premier étage, et comme hypnotisées, assistaient à des scènes affreuses. Au milieu du mouvement désordonné des sectionnaires qui couraient en tous sens en poussant des hourras, chantant « Ça ira » et l’hymne des Marseillais, on assommait, on tuait, on dépouillait les cadavres.
    Les Suisses qui occupaient le pavillon de Flore avaient pu sortir du côté jardin, avec les gentilshommes, d’anciens gardes constitutionnels, des grenadiers fayettistes. Ils étaient là cinq cents environ, sur la terrasse du Château, très disciplinés, bien armés. Le blond marquis de Segret : l’amoureux de M me  de Lamballe, se trouvait parmi eux. Au début de l’attaque menée par Westermann, Segret avait été séparé de son ami Charles d’Autichamp, envoyé avec un petit détachement dans la grande galerie du Louvre. Le jeune marquis, lui, faisait partie d’un peloton commandé par le major de Villers, et dans lequel se trouvait le frère de lait de la Reine : l’Autrichien Weber. Ils virent arriver du Manège un homme en frac brun, qui accourait, levant la main, salué des terrasses par quelques balles. « C’est d’Hervilly », dit quelqu’un. De loin encore, il cria, non point : Le Roi vous ordonne de déposer les armes ; mais, avec l’idée de ne pas laisser la famille royale sans protection : « Messieurs, le Roi vous ordonne de vous rendre tous à l’Assemblée », et il ajouta même : « Avec vos canons. » Ce qui fit hausser les épaules au vieux maréchal de Mouchy : des canons, ils n’en avaient plus. En outre, ils n’auraient pas eu de munitions pour les charger. Il fronça ses sourcils broussailleux, examinant la situation.
    La partie découverte du jardin, jusqu’aux marronniers roussissants, avec son bassin rond, ses statues, ses parterres, ses allées très blanches dans la vive lumière, était déserte. En revanche, les bataillons des faubourgs couvraient d’un fourmillement d’uniformes et de fusils les deux terrasses latérales sous leurs tilleuls presque entièrement dépouillés. Se lancer dans l’intervalle, entre des feux plongeants qui pouvaient se croiser, c’était marcher à la mort. Ni les gentilshommes ni les soldats n’hésitèrent néanmoins. Leur phalange bariolée : mélange de tuniques écarlates, d’habits de soie ou de basin, de coiffures poudrées, de bonnets à poils, avança vers la grille devant laquelle la berline ramenant la famille royale, Pétion, Barnave, s’était arrêtée au retour de Varennes. Cette grille était fermée. Des Suisses, à coups de crosses, forcèrent deux barreaux et se glissèrent un à un par la brèche. Les sept premiers tombèrent, un à un aussi, tirés comme à la cible. On agrandit l’ouverture, on s’élança au pas de course sous les balles, en se dispersant pour chercher l’abri des bancs, des statues, des arbustes. Les détonations crépitaient, les projectiles bourdonnaient, hachaient les fleurs, soulevaient des jets de cailloux et des petits panaches de poussière qui montaient dans l’air chaud. Il était un peu plus de dix heures, le soleil devenait ardent.
    Pierre de Segret, sa chemise collée au dos par la sueur, se collait lui-même au piédestal d’une statue dont les jambes écartées fournissaient une excellente meurtrière. Près de lui, MM. de Vioménil et de Lamartine tiraillaient, à genoux derrière un banc, rentrant la tête après chaque coup qui attirait des essaims de balles. Elles s’écrasaient sur la pierre avec un martèlement mat, des éclats de calcaire volaient. Les Suisses surtout perdaient du monde, plusieurs cadavres rouges étalés çà et là dans les pelouses s’y confondaient avec les corbeilles de sauges. Cependant, Segret vit tomber aussi MM. de Clermont d’Amboise et de Castéja qui, s’étant découverts pour se rapprocher des Feuillants, restèrent là, couchés devant le bassin, l’un sur le dos, l’autre ramassé en chien de fusil. Le blond Segret aurait voulu, lui aussi, rejoindre les groupes emmenés par le vieux

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