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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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maréchal, qui progressaient lentement vers l’Assemblée : le Roi l’ordonnait, et là-bas, ce qui comptait plus encore pour Pierre de Segret, se trouvait M me  de Lamballe. Mais la zone du bassin, battue par les tirs croisés, était mortelle. « Messieurs, ne traversez pas, cria le major de Villers. Droit aux arbres ! » Il donna l’exemple. Suisses, gentilshommes et grenadiers bondirent à sa suite en zigzaguant.
    Sous les marronniers, dont l’ombre clairsemée rendait néanmoins les mouvements peu visibles, ils avancèrent de tronc en tronc, obliquant vers la droite dans la direction du Manège et se rassemblant pour franchir tous ensemble d’un élan l’allée centrale. Hélas, il y avait là, en bordure, sous un des kiosques, un poste d’uniformes bleus dont le feu soudain coucha par terre une trentaine d’hommes, pêle-mêle. Quelques autres, entraînés par Weber, avaient réussi à passer. Le gros de la colonne fut rejeté sur la gauche. On n’avait plus assez de munitions pour mettre le poste en déroute. Segret, se mordant les lèvres, dut suivre ses compagnons qui continuaient à se défiler d’arbre en arbre. Le major, M. de Lamartine, les officiers suisses, avaient recommandé de ne plus tirer : « Gardez ce qu’il vous reste de cartouches, nous allons forcer le Pont-Tournant. » Ils avançaient en silence au milieu de la rumeur provenant des terrasses. La fusillade qui avait suivi la progression des autres groupes, avec celui de Weber, vers le Manège ne s’entendait plus ; ils y étaient donc arrivés. Quant à eux, on ne pouvait plus les viser, sous le couvert. Ils se faufilaient prudemment, las, assoiffés, certains avec des mouchoirs ou des cravates enroulés autour d’une blessure, tous résolus encore à vaincre.
    Entre les troncs, on apercevait, éclatant de blancheur, le large espace autour du grand bassin bleu de reflets, les rampes des terrasses avec leurs statues, le petit pont entre les piles couronnées par les chevaux de pierre et, au-delà, sur le Grand-Carré, des escadrons de gendarmerie qui se rallieraient certainement à d’anciens camarades. Soudain, des pièces de 4 aboyèrent, leurs petits boulets vinrent fracasser les branches à la lisière des arbres. Des fragments se mirent à pleuvoir. D’un saut, Segret évita un énorme morceau de marronnier qui atteignit M. de Lamartine à la tête. « Au pas de charge ! » commandaient les officiers. « En avant ! » Tous s’élancèrent à corps perdu dans le découvert… pour recevoir une double décharge de canons tirant à mitraille. Ce fut comme un coup de faux. Segret se sentit enveloppé de plomb volant et miaulant, trébucha, heurté à l’épaule. C’était son voisin, tué net, qui s’effondrait sur lui, le faisant chanceler. Il se redressa, indemne, mais des corps jonchaient le sable par dizaines, devant le bassin, devant la statue de César. « En retraite ! » criait Forestier de Saint-Venant : un jeune officier des Suisses. On courut se reformer derrière la rampe, sous la terrasse de l’Orangerie. On n’était même plus cent, avec beaucoup de blessés. M. de Lamartine essuyait le sang qui lui coulait du front. M. de Vioménil avait une balle dans le bras. Il ne restait aucun espoir de percer au Pont-Tournant. « Tentons de rejoindre le Manège, proposaient certains. Nous sommes du bon côté maintenant, nous y parviendrons peut-être. » Saint-Venant, parti en éclaireur, accourait. « Messieurs, à la grille de l’Orangerie on ne voit que des sentinelles. Nous en aurons facilement raison, mais il faut faire vite. »
    — Allons-y ! » décida le major de Villers en s’élançant. Segret suivit avec une quarantaine d’autres, gentilshommes, grenadiers et Suisses. Ils escaladèrent la murette du potager de l’Orangerie, coururent entre les carrés. Les gardes, de faction au porche qui commandait le cul-de-sac, virent soudain le mur, devant eux, se crêter de têtes et de fusils. Avant qu’ils aient eu le temps de mettre les leurs en joue, les coups partaient, trois des gardes tombaient. Les autres s’enfuirent en criant main-forte. Non loin derrière eux, les royalistes débouchèrent au bas de la rue Saint-Honoré où les gens – des curieux, des badauds – ouvrirent de grands yeux, quelques-uns de grandes bouches, mais ne firent rien pour les arrêter. Seulement, une compagnie de gardes nationaux, attirée par les coups de fusils et les appels à l’aide,

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