Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
l’alliance du Roi et de la nation, mais à partir du moment où Louis XVI et Marie-Antoinette ont fait appel à l’étranger, la monarchie ne pouvait plus être sauvée. Ce n’est pas contre vous que les patriotes se sont battus aujourd’hui, mais contre les Autrichiens et les Prussiens. Et vous êtes, vous-mêmes, messieurs, des victimes.
    — On ne saurait, monsieur, dit le comte en respirant avec précaution, douter d’une honnêteté dont votre conduite envers nous fournit la plus parfaite preuve, ni de votre bonne foi, cependant les manières de ceux que vous appelez patriotes ne laissent pas croire qu’ils soient français. Nos vainqueurs, hélas, sont des égorgeurs, des sauvages, des cannibales. J’ai vu, monsieur, j’ai vu des femmes, d’épouvantables mégères, sauter sur un blessé, danser sur son corps jusqu’à lui faire sortir les entrailles par les deux bouts. On frémit en pensant que la France pourrait être livrée à la frénésie de telles gens. Monsieur, ni mon fils ni moi ne sommes des royalistes noirs, pas même des courtisans. Nous sommes venus défendre ici l’ordre, et rien d’autre. »
    Le jour déclinant se retirait de la chambre. Les traits du vieux ci-devant s’estompaient sur l’oreiller. Claude soupira. L’ordre ! Il ne souhaitait rien de plus, lui-même. Le sang versé aujourd’hui l’empêchait de goûter cette victoire qui enivrait Fabre, Desmoulins, Danton, Legendre. Il désirait l’ordre, oui, mais l’ordre dans la liberté, et le mot de Lucile lui revint à l’oreille : « Nous voulons être libres. Ô Dieu, qu’il en coûte ! » Le bon Guillotin arriva juste à point pour le dispenser de répondre au comte. Margot apportait des bougies, s’affairait, compétente. Dehors, le soir, pourpre comme l’avait été l’aurore, s’éteignait lentement, et déjà on allumait des torches, des lanternes, des lampions, pour continuer le funèbre ramassage. Les tombereaux roulaient avec un bruit sourd en secouant leur charge recouverte de paille. On entendait les lamentations perçantes de femmes venues des faubourgs chercher leurs maris et qui les découvraient parmi les morts.
    C’était l’heure où Danton, aphone, bouffi, les yeux brûlants, rentrait enfin chez lui avec un cortège de corybantes. Sa femme et Lucile Desmoulins avaient elles aussi leurs courtisans. Ils leur apportaient les dépouilles opimes de la royauté, des éponges, des brosses prises à la toilette de la Reine. Danton retrouva un reste de vigueur pour mettre tout le monde à la porte. Une fois dans l’alcôve aux rideaux jaunes, ses souliers, son habit de basin enlevés, ses boucles de jarretières défaites, il s’écroula sur son lit sans même achever de se dévêtir.
    Dubon, repassant prendre son beau-frère, le trouva en discussion avec le docteur qui insistait pour emmener les deux blessés. « S’ils restent céans, disait-il, ils n’en pourront plus sortir ; la Commune vient de suspendre les passeports, il ne servirait donc à rien de leur en fournir. Etant donné la situation de cette maison, rien ne garantit que votre propre logement ne sera pas, sinon fouillé, du moins visité. Le seul endroit où ces messieurs puissent compter sur une sécurité complète, c’est le terrain d’une ambassade. De nombreux gentilshommes ont trouvé refuge dans celle de la République vénitienne. Pisani est très ferme, il sauvera ces messieurs comme il a sauvé nombre de leurs amis. L’heure est propice pour le transfert. »
    Dubon approuva. Tirant de sa poche son écharpe : « Voilà, dit-il, de quoi tranquilliser les curieux, s’il y en a.
    — Fort bien, dit Claude. Messieurs, décidez vous-mêmes. Je répète que vous êtes ici chez vous. »
    Le docteur avait bandé étroitement la poitrine du comte, pour maintenir les côtes, et garantissait qu’il pouvait subir sans risque un transport, au demeurant très court. Quant au chevalier, son estafilade à la tête était sans gravité. Ils résolurent de s’en remettre au D r  Guillotin. Aidé par lui, le comte descendit l’escalier en serrant les dents et fut hissé dans la voiture du médecin. Tout se passa sans anicroche. Dubon monta sur le siège avec son écharpe, Claude à côté des blessés. En quelques minutes, au pas, on fut à l’ambassade où les rescapés demeurèrent après avoir exprimé aux trois hommes avec émotion toute leur reconnaissance.
    En retournant vers le Pont-Neuf, Dubon mit Claude au

Weitere Kostenlose Bücher