Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
Feuillants, un refuge pour les souverains, au-dessus du cloître occupé par les bureaux : quatre pièces vides, attenantes à l’appartement dans lequel l’Assemblée logeait son architecte. Celui-ci faisait disposer en hâte, dans ces anciennes cellules, quelques meubles indispensables, prélevés chez lui. Des inspecteurs de la salle vinrent chercher le Roi et les siens avec une escorte de gardes nationaux. Un officier prit dans ses bras le Dauphin et l’emporta tout endormi, en suivant la Reine. Par le couloir tendu de coutil à rayures, où étaient accrochés assez haut les quinquets à réflecteur de fer-blanc, on gagna en silence le cloître, dans le seul traînement des pas, quelques tintements d’armes, les brèves indications des inspecteurs qui guidaient le Roi. À l’étage, dans le ci-devant dortoir, les scribes du comité des Décrets expédiaient fébrilement les derniers textes que l’on envoyait à mesure à l’imprimerie installée de l’autre côté de la venelle, dans le réfectoire des Capucins. Des commis, la plume derrière l’oreille, bras nus, emportant des papiers ou rapportant les épreuves humides encore au sortir de la frisquette, s’arrêtaient pour voir passer le triste cortège dans le clair-obscur du corridor : le Roi ventripotent, défait et qui, avec son habit violet, semblait en deuil de la monarchie, la Reine aux traits tirés, mais toujours ferme, le prince royal assoupi, la petite troupe des fidèles, et, tout autour, des uniformes.
    Quatre portes toutes semblables étaient ouvertes sur les pièces qui se succédaient dans le large corridor : quatre pièces aux murs plâtreux, aux fenêtres nues, le sol pavé de carreaux rouges. De la première on avait fait une espèce d’antichambre, avec une table de salle à manger, quelques chaises disparates. Dans deux des autres se trouvaient des lits sans ciel préparés pour le Roi, pour la Reine, pour le Dauphin et pour sa sœur. La dernière ne contenait que de simples matelas posés à même le carrelage. Sans linge ni vêtements de rechange, tout ayant été pillé au Château, Louis XVI se coucha mi-vêtu, la tête enveloppée d’une serviette comme bonnet de nuit. Madame Elisabeth, la princesse de Lamballe, M me  de Tourzel s’allongèrent sur les matelas. Dans la première pièce, les courtisans dévoués veillaient devant la porte de leur souverain. En bas, dans le cloître, cinquante soldats citoyens montaient la garde, avec deux serviteurs du Roi.
    Pendant ce temps, la vie voluptueuse, libertine, continuait dans les tripots du Palais-Royal où l’or roulait sur les tables de jeu, passait dans la main des filles. Le public, sortant des théâtres qui avaient joué comme tous les soirs, se pressait dans les salons de Vénua, sous les girandoles de cristal étincelantes, dégustait le vin d’Ay, le champagne, des sorbets, chez les restaurateurs de la place des Victoires, de la rue Saint-Honoré, dans les tonnelles des Champs-Elysées où l’on respirait une fraîcheur exquise sous le ciel plein d’étoiles, et où deux amoureux se désenlaçaient soudain, horrifiés en découvrant dans le fossé le cadavre du jeune Forestier de Saint-Venan oublié là.
    Weber avait trouvé asile chez un de ses amis, fonctionnaire à la Guerre.
    Santerre, montant son lourd cheval, visitait les postes avec Westermann. Les gardes nationaux bourgeois étaient rentrés chez eux. Ceux des faubourgs patrouillaient à travers la ville. Derrière la petite église de la Madeleine, près de l’hôtel de Soyecourt, on avait creusé dans l’enclos des religieux devenu terrain municipal une vaste fosse. On acheva d’y déverser les sept cents et quelques Suisses tués au Château. Les hommes, qui travaillaient à la lumière des torches, répandirent sur le dernier lit de corps une dernière couche de chaux vive, puis ils ramenèrent la glaise, transformée par la sécheresse de cet été en mottes pulvérulentes, rassemblèrent leurs outils et partirent derrière les voitures qui avaient amené la chaux.
    Le milieu de la nuit était maintenant passé. Du fond de son sommeil, Danton remontait difficilement à la conscience. Il se retourna en grognant, plongea de nouveau, revint à la surface. On le secouait, on l’appelait. Il ouvrit les yeux avec peine et entrevit la figure de Fabre penché sur lui. « Qu’c’y a ? balbutia-t-il.
    — Lève-toi, Danton. Lève-toi, tu es ministre.
    — Hein ! Quoi ?
    — Tu es

Weitere Kostenlose Bücher