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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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même d’offensée. « Allez, coquines, la nation vous fait grâce », leur avait dit un patriote. Elles étaient sorties avec des gardes assez nombreux pour les soustraire à la fureur des femmes du peuple qui se fussent montrées moins indulgentes. Santerre avait lancé par les rues des patrouilles pour réprimer le pillage et prévenir de nouveaux assassinats. Néanmoins, du sang coulait encore. Un ci-devant payait de sa vie, sur le Grand-Carré, ses protestations contre des gens qui renversaient la statue de Louis XV, et celle-ci, en tombant, écrasait une femme. Non loin, des voleurs étaient assommés ou pendus sans autre forme de procès. Dans le fossé du Pont-Tournant, un serviteur fidèle ramassait furtivement la tête de Suleau jetée là, avec d’autres, par ceux qui s’étaient lassés d’en jouer.
    Pendant ce temps, le public se promenait dans le jardin, s’ébahissant devant les traces du carnage, les fleurs, les branches hachées par les boulets et les balles, les statues mutilées par les projectiles et coiffées de bonnets rouges, le tas des uniformes que l’on avait enlevés aux Suisses tués près du grand bassin, avant de lancer leurs corps à la Seine ; sur la terrasse du Château, les débris des meubles, des porcelaines, des objets précipités par les fenêtres, la jonchée de bouteilles prises aux caves royales et dont le contenu avait arrosé les gorges patriotes. La fumée de l’incendie combattu par les pompiers auxquels les sans-culottes avaient enfin permis d’approcher montait encore, lourdement, par-dessus les toits. Des sons surprenants, mugissants et lugubres, emplissaient l’air. C’était le Dies irae qu’un Savoyard, juché sur l’orgue de la chapelle, soufflait dans un des tuyaux. La joie triomphante, l’excitation, l’éton-nement, la douleur et le deuil, la curiosité, la terreur, l’indifférence, se partageaient Paris. La charmante comédienne qui, l’année précédente, avait fait les délices de René Montaudon recevait à cette heure dans sa maison de Chaillot le poète Arnault rentrant de la campagne et lui annonçait : « Les brigands sont les maîtres ! Tout est perdu ! Qu’allons-nous devenir ? » En revanche, au Marais, des bourgeois, peu émus d’avoir entendu quelque bruit, le matin, et tout aussi indifférents que les pêcheurs du quai Pelletier, faisaient sous leur tonnelle, à la fin de ce beau jour, un bésigue. On saurait bien, par le Journal du soir, ce qui s’était passé. Cela ne pouvait être important.
    Les ombres des maisons s’allongeaient à travers la Grève, atteignant la façade de l’Hôtel de ville. Les martinets sifflants reprenaient possession du ciel. Claude sentait de nouveau la faim. Il partit avec Dubon qui n’avait pas dîné, lui non plus. On soupa en famille, au Pont-Neuf. Soudain, les propos furent interrompus par un bruit terrible, creux, et grondant comme un coup de tonnerre. La maison trembla. C’était la statue d’Henri IV que l’on venait de jeter de son socle sur le trottoir. « Les pauvres imbéciles ! dit Dubon. Ils ne peuvent pas faire une révolution sans l’assortir de sauvagerie ou d’extravagance. Combien de siècles faudra-t-il pour élever le peuple à la raison ? » Lise, encore bouleversée par ce qu’elle avait vu au Carrousel, ne voulait toujours point retourner là-bas. Comme on ne pouvait laisser Margot sans nouvelles, Claude résolut d’y aller. Son beau-frère, malgré la fatigue, le suivit pour se rendre compte de l’état des choses. Le soleil d’août qui rosissait en descendant lentement vers Chaillot illuminait la Seine verte sur laquelle il projetait l’ombre agrandie des ponts. « Il est seulement six heures un quart, constata Claude. Que de choses depuis la même heure, ce matin ! Quelle longue journée !
    — Ne m’en parlez pas, elle me semble durer depuis une semaine. Je ne sais même plus quel jour nous sommes.
    — Le 10. Vendredi 10. »
    Ils passèrent les guichets, prirent la rue Saint-Nicaise. Les promeneurs déambulaient sur la place, regardant trier et charger les morts dans les tombereaux, sous la surveillance des commissaires de la Commune. L’un d’eux, Rossignol, dit à Dubon secoué par la vision à laquelle il s’était pourtant préparé : « Quelle foutue besogne ! » Rossignol, compagnon orfèvre, n’avait pourtant rien d’une mauviette. Le plus affreux, c’était les chiens : une armée maintenant, attirée par toute

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