Les autels de la peur
chemins. Presque tous passent maintenant par le Palais-Royal, ou le côtoient. Entre autres celui de Pétion, de Santerre : votre républicain Santerre.
— J’ai peine à le croire. Santerre, il est vrai, a eu, ces temps-ci, une conduite bizarre. Je l’attribuais à l’ambition.
— Si je vous disais que je ne suis plus sûr de Maximilien lui-même ! Santerre, Panis, Robespierre : voyez-vous le fil ?
— Non, répondit Claude. Robespierre n’a jamais voulu de la république, mais sa carte, depuis Varennes, m’a toujours paru être Louis XVII dont il serait le Mentor, et il la tient à présent bien en main, avec le décret de Vergniaud sur l’éducation du prince royal. Pourquoi eût-il, avant-hier encore, comme Marat, tant recommandé le respect de la famille royale, s’il misait sur Orléans ?
— Bah ! il joue sur plusieurs tableaux, comme tout le monde. Tout est bon pourvu que l’on parvienne, que l’on se « mette dessus », a dit Danton. La Révolution tourne à la foire d’empoigne. Les principes ne sont plus que des prétextes, et tandis que le peuple se fait tuer, les rapaces aux dents longues se battent pour mordre dans le gâteau. Quel coup de balai il faudra donner là-dedans !
— Ne voyez-vous pas les choses bien en noir, Jean ? C’est assez votre habitude. Vous n’avez pas beaucoup de confiance en l’homme.
— Je n’ai pas été nourri de Rousseau mais de Voltaire. L’expérience non plus ne m’a pas rendu très optimiste. Je n’ai confiance qu’en vous et en moi et dans un très petit nombre de gens comme nous. Voilà pourquoi je voudrais que vous veniez à la Commune. Nous allons avoir encore de rudes combats à livrer pour achever la victoire d’aujourd’hui, anéantir les complices du comité autrichien, lutter contre l’orléanisme, réduire les factions, empêcher la résurrection de la tyrannie sous une forme ou une autre, contraindre enfin tous ces intrigants à nous donner la république avec une véritable démocratie. Vous savez ce que nous avons promis à votre ami le capitaine Delmay. Quelque chose vient d’être acquis, il faut persister énergiquement. Vous êtes venu ici avec un idéal tout autre que de faire carrière dans la magistrature. Vous ne l’avez pas oublié, j’espère ?
— Non. Assurément non », dit Claude.
Tandis que, silencieux et songeurs, après cet échange de propos, ils poursuivaient leur chemin vers le Pont-Neuf, de l’autre côté des Tuileries – où l’on brûlait dans le jardin les débris de meubles, et peut-être aussi des corps, – l’Assemblée continuait ses délibérations à la lueur des quinquets, dans une touffeur qu’un peu d’air nocturne, entrant par-derrière les tribunes toujours pleines, ne parvenait point à dissiper. Des pétitionnaires se présentaient encore à la barre pour réclamer le camp sous Paris, un tribunal révolutionnaire, le suffrage démocratique. On leur répondait par des discours. La question immédiate était celle du pouvoir exécutif. À qui le confier après l’avoir ôté au monarque ? L’Assemblée décréta qu’il serait remis à un conseil de ministres élus par elle-même et qui ne pourraient être pris dans son sein. Le premier nommé aurait une position dominante ; sans titre spécial, il présiderait néanmoins, en fait, le Conseil exécutif. Sur quoi Condorcet déclara : « Il faut là un homme qui ait la confiance de ce peuple dont les agitateurs viennent de renverser le trône. Par son ascendant, il pourra contenir les instruments très méprisables d’une révolution utile, glorieuse et nécessaire. » Les secrétaires du logographe notaient au vol ces phrases, en signes abréviatifs. Les plumes grinçaient. Avec la respiration forte du Roi, et parfois un soupir, il ne s’élevait pas d’autre bruit dans la loge. La famille royale n’en avait pas bougé depuis seize heures. Dans la pénombre suffocante avec la chaleur des lampes aux abat-jour de tôle verte placées sur la table des secrétaires, c’était une réunion de figures muettes, figées par l’épuisement. Le Dauphin dormait sur les genoux de sa mère, ses cheveux blonds collés aux tempes. Louis XVI dodelinait de la tête, écrasant son double menton sur le chiffon qui avait été une fine cravate. La lueur d’une des chandelles éclairait la jolie main de M me de Lamballe, doucement posée sur le poignet de Marie-Antoinette.
On avait préparé impromptu, aux
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