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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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 compagnie fit savoir qu’il était en contact avec les troupes de l’armée de Metz. « Halte. Front de bataillon, sur trois lignes. Arme au pied », commanda Bernard. Laissant à Malinvaud le soin de prendre cette disposition, il alla se rendre compte. Dans la brume en train de s’éclaircir et où perçaient des rayons de soleil, le capitaine de la 9 e le conduisit, non loin, jusqu’à un gros corps dont on ne distinguait avec netteté que les premiers rangs, étroits, défilés derrière des pièces de 4. Un colonel de la ligne : vétéran à perruque, à grosse moustache grise, en uniforme blanc, fit avancer son cheval. Après de brèves présentations respectives, l’officier confirma qu’en effet toute l’armée amenée par le général Kellermann était là. Le régiment lui servait de flanc-garde.
    « C’est inutile à présent, lui dit Bernard : deux mille trois cents hommes, et tout d’abord les miens, tiennent votre droite. Vous pouvez sans aucun risque étaler votre front.
    — Hum ! Pardonnez-moi. Quelle espèce d’hommes ? » grogna le vieux troupier en regardant avec défiance ce chef de bataillon, bien découplé mais qui avait l’air d’un gamin, sous son chapeau à plumes tricolores.
    « Si vous voulez venir avec moi jusque-là, monsieur, vous verrez vous-même », répondit tranquillement Bernard. Le colonel le suivit. Ils passèrent ensemble devant les compagnies. À chacune, les capitaines commandaient : « Garde à vous. Fixe. Portez vos armes ! » et les mains claquaient sec sur les fusils. Les uniformes bleus n’étaient pas de la première fraîcheur, on voyait qu’ils avaient connu la pluie, la boue et de nombreux bivouacs, mais ils étaient propres. Et les visages tannés, les armes étincelantes, ces honneurs impeccablement rendus en présence, pour ainsi dire, de l’ennemi : tout cela parlait clairement. Le vétéran apprécia d’un signe de tête. « Fort bien, je vais me déployer. » Bernard le raccompagna puis revint à son poste. « Sept heures », dit Malinvaud.
    Tout à coup, la brume disparut comme une fumée chassée par le vent. En quelques instants, la campagne se découvrit, baignée de soleil pâle. Le bataillon était en place sur un plateau en pente, un peu moins élevé que le camp lui-même, et beaucoup moins vaste, mais également terminé par un versant très abrupt, au bas duquel passait la route de Châlons. Au point le plus haut, en avant du village, le moulin de Valmy dressait sa tour et ses ailes désentoilées. Son pied disparaissait dans un fourmillement d’uniformes, de baïonnettes, de drapeaux, de chevaux, recouvrant la butte et se prolongeant en lignes au long du plateau, jusqu’à la troupe de Bernard. À sa droite, les autres corps envoyés avec lui étaient comme le sien rangés en bataille. Enfin, au-delà, on apercevait des escadrons de carabiniers, de dragons, en train d’occuper le terrain jusqu’à un petit bois qui fermait la vue dans cette direction. Partout du côté français, sur ces hauteurs nues, gris-vert et blanchâtres, tranchant avec l’horizon de la forêt, on distinguait des drapeaux, immobiles ou en marche, des régiments blancs ou bleus, des brigades, des trains d’artillerie, qui se dirigeaient vers leurs positions. Jamais Bernard, ni Malinvaud, ni aucun de leurs compagnons, n’avaient assisté à un pareil déploiement de troupes. Ils en éprouvaient une sensation grisante, un sentiment de force et d’orgueil.
    De l’autre côté de la vallée, sur les crêtes répondant aux plateaux de Sainte-Menehould et de Valmy, sur les collines de la Lune et celles de Dampierre, l’armée des tyrans était en mouvement, elle aussi. Elle développait ses ailes. Bernard voyait la cavalerie filer par escadrons vers le sud-ouest, avec le dessein évident de tourner par là les positions françaises. Elle n’avait aucune chance d’y réussir. En même temps, l’infanterie en masses commençait de descendre les collines face au centre français. Avec de vastes mouvements, lents et d’une précision mécanique, elle évoluait dans sa marche pour se former en bataille. À mi-pente, elle s’arrêta, présentant son front ponctué de drapeaux blancs avec quelque chose de noir. Un état-major la précédait, au premier rang duquel se détachaient deux petites silhouettes : sans doute Brunswick et le roi de Prusse en personne. On vit alors les compagnies de sapeurs s’avancer, niveler rapidement des

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