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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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vivante sur laquelle elle avait appuyé ses lèvres pour que, loin d’elle, Bernard pût encore sentir ses baisers. Il le posa contre sa joue. Il pensait à Lise avec infiniment de tendresse, avec une douce mélancolie. Peut-être ne la reverrait-il pas, mais s’il était tué demain, c’est elle qui comblerait encore, au dernier instant, son cœur et ses yeux.
    Sous la garde de milliers de sentinelles, le camp dormait, dans un silence traversé par de faibles bruits. Bernard ôta ses demi-bottes usées, son habit déteint, sa cravate, relâcha ses boucles de jarretières et, roulé dans sa couverture, s’endormit lui aussi, prêt à faire de son mieux ce qu’il y aurait à faire.
    Le tambour l’éveilla. Un roulement voilé. Comme l’avant-veille, dans cette région de rivières et d’étangs on était en plein brouillard, moins épais ici, cependant, à cause de l’élévation du terrain. Les corvées d’eau, de bois, de vivres rentraient. On faisait l’appel dans les compagnies tandis que les feux s’allumaient, mal, sous les marmites. Les capitaines venaient rendre compte. Le chirurgien du bataillon annonça fièrement qu’il n’y avait point de malade : quelques bobos de-ci de-là mais pas un seul homme indisponible. « Tenez-les tout prêts à prendre les armes, dit Bernard aux officiers. Nous ne tarderons certainement pas à recevoir des ordres. » Un quart d’heure plus tard, un aide de camp de la brigade, amenant un guide, apporta un billet. Bernard devait faire mouvement en direction du moulin de Valmy, jusqu’à se trouver en ligne avec les troupes du général Kellermann dont il aurait à couvrir le flanc. L’aide de camp ajouta : « Les 4 e , 6 e et 7 e  bataillons ont reçu le même ordre et vont accompagner le mouvement sur votre droite. Ils marcheront en liaison avec vous, vous n’avez donc pas à vous soucier de ce côté. En revanche, prenez garde à votre gauche. L’ennemi, autant qu’on puisse le savoir avec si peu de vue, se déplace en direction de Somme-Bionne, et c’est lui que vous pourriez rencontrer au lieu de l’armée de Metz. »
    Dans cette brume, où l’on n’y voyait guère à plus de vingt-cinq pas, il eût été bien difficile de se diriger. Cela n’embarrassait point le guide : un courageux patriote de Maffrécourt. Descendant à travers des boqueteaux dont on ne distinguait que les troncs, il conduisit rapidement le bataillon jusqu’à des prairies nappées d’argentines toiles d’araignées. Tous les sens en éveil, Bernard n’en réfléchissait pas moins : Kellermann n’avait pas occupé la position préparée pour lui. Ignorant, ou négligeant le dessein de son collègue – ce qui paraissait fort possible, car il devait mal souffrir d’être associé à un général d’occasion –, il avait dépassé le plateau de Dampierre et s’était installé sur cette butte surmontée d’un moulin, que l’on apercevait, hier, à gauche de la route, en approchant du camp. Bernard ne connaissait pas assez le terrain pour juger la situation dans son ensemble, mais celle de Kellermann, très en pointe, semblait plutôt aventurée. C’est pourquoi on faisait descendre quatre bataillons, et probablement d’autres troupes, afin de rattacher le corps d’armée de Metz à celui des Ardennes et à celui du Nord. Le front se trouvait déplacé. Avec sa position en flèche, Kellermann, voulant, eût-on dit, la bataille pour lui seul, attirait l’adversaire. C’était évidemment sur Valmy que les Prussiens allaient porter leur principal effort, comme le montrait bien le risque, signalé par l’aide de camp, de rencontrer par ici des avant-gardes.
    Le guide, dans un mauvais français mâtiné de patois, expliquait à Bernard que l’on arrivait sur la gauche du village de Valmy, lorsque des coups de feu curieusement amortis éclatèrent à moins d’une toise. Les éclaireurs se replièrent. On s’arrêta, les armes prêtes. « Ça doit être sur la route de Somme-Bionne », dit le guide. On entendait des hennissements mêlés aux cliquetis caractéristiques des sabres. Plus à droite, il y eut une brève canonnade – des pièces d’infanterie. Un martèlement de fers remua le sol, puis tout se tut. Au bout d’un instant, comme on ne percevait plus rien, Bernard ordonna de reprendre la marche. Le terrain remontait légèrement, bientôt le guide annonça que l’on se trouvait à la hauteur du moulin. Au même moment, le capitaine de la 9 e

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