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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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forteresse. Tourner par les flancs, il n’y fallait pas songer : l’Aisne couvrait le camp sur la droite, sur la gauche des étangs et des marécages miroitaient aux derniers rayons du soleil. Le terrain était admirablement choisi pour la défensive. De l’autre côté de la route de Châlons qui s’allongeait dans la plaine, un second plateau, également garanti par une petite rivière et des marais, offrait une position non moins forte à Kellermann arrivant dans cette direction. Il s’établirait assurément là, en tenaille avec le reste de l’armée.
    Des officiers de chasseurs, avec lesquels Bernard engagea la conversation, lui confirmèrent que telles devaient être les dispositions du général en chef, car on venait de pratiquer, la veille, des abattis et des terrassements pour l’artillerie, sur ce plateau : celui de Dampierre. Ces officiers, comme tous ceux avec qui Bernard eut l’occasion de parler, admiraient le plan conçu et si bien exécuté par Dumouriez, en dépit, dirent-ils, de tous les conseils et même des ordres de Paris. Néanmoins, ils cachaient mal leur appréhension d’affronter la vieille armée prussienne, la plus formidable du monde, formée à l’école de Frédéric et commandée, avec l’armée autrichienne, par un généralissime considéré comme un nouvel Agamemnon : le duc de Brunswick. Qu’opposeraient-ils, eux, à cette machine guerrière ? Des recrues, mal équipées, à peine formées, dont la conduite au feu demeurait imprévisible. Seuls les régiments de ligne et quelques bataillons de l’armée du Nord avaient déjà combattu ; et encore, ces derniers dans de simples escarmouches. Une panique comme il s’en était trop produit tournerait ici au désastre. Bernard savait depuis longtemps que beaucoup d’officiers – ci-devant nobles ou anciens soldats comme Jourdan et Dalesme, mais moins foncièrement démocrates – se défiaient de leurs troupes, qui ne les aimaient guère non plus. Lui-même avait eu assez de peine avec ses premiers volontaires toujours mécontents, toujours prêts à déserter. Aujourd’hui toutefois les circonstances étaient bien différentes : depuis Landrecies, il voyait ses cinq cent soixante-quinze hommes former un tout de mieux en mieux cimenté par le sentiment du péril national, par la proximité de l’armée des tyrans. Il avait en eux la plus parfaite confiance. Il alla les rejoindre dans leurs compagnies, leur parler, mais non pas pour les flatter adroitement comme l’avait fait le général en chef. Il causait avec eux de ce qui les occupait, eux et lui. Il leur expliqua la belle manœuvre de Dumouriez, réussie grâce à leur endurance, c’était bien vrai. Il évoqua le dispositif du camp, la gorge, les étangs, les marécages, la position des coalisés et les conditions dans lesquelles ils se présenteraient, dès demain, sans doute, pour attaquer. Certains rapportaient ce que des camarades d’autres bataillons leur avaient appris. C’était une libre conversation entre citoyens associés pour défendre, chacun selon sa capacité, leur bien commun. Cependant, que le rappel battît, ces citoyens redeviendraient aussitôt des guerriers soumis à une discipline qui imposait aux plus experts de commander et aux autres d’obéir. Pour sa part, Bernard eût bien préféré n’être qu’un lieutenant sinon un simple troupier. Avec ses vingt-sept ans, il se sentait trop jeune, ce soir, en face de ses responsabilités. Il regrettait Jourdan dont le soutien lui manquait fort.
    Lorsqu’il quitta ses hommes, les feux des bivouacs ennemis piquetaient les collines noires. Sous le ciel sans clarté, la terre scintillait, mais le plateau de Dampierre, où Kellermann, à cette heure, aurait dû être installé, restait obscur. Bernard entra dans la tente de Malinvaud qui travaillait sur ses registres en bougonnant. « Ces sacrées cartouches ! s’exclama-t-il. Il y en a toujours qui trouvent moyen de se faufiler d’un état dans un autre. Ce ne sera pas demain le jour de laisser une compagnie en manquer. » Quand il eut fini ses vérifications, Bernard et lui allèrent, avec le sergent-major muni d’un falot, faire la ronde des postes. Après quoi, le nouveau lieutenant-colonel se retira sous sa tente, exactement semblable à celles de ses soldats, excepté qu’il y était seul et qu’il avait une lanterne. À sa lueur, il contempla longtemps le petit portrait de Lise, peint par David : cette miniature si

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