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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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leurs positions. Leurs deux colonnes n’avaient pu franchir la route, elles s’étaient repliées, laissant là de nombreux morts. C’était déjà beaucoup que d’avoir contraint ces troupes fameuses à reculer. Bernard et les siens n’y puisèrent pas peu d’assurance, mais le gros de l’armée royale demeurait ferme. Sous les boulets dont on apercevait maintenant les points de chute et qui creusaient des sillons dans les compagnies, il formait trois nouvelles colonnes soutenues par deux ailes de cavalerie.
    Là-haut également, au pied du moulin, quelque chose se faisait, dont on se rendait mal compte en contrebas. Cependant il parut soudain que des milliers de chapeaux, de bonnets à poils, de casques s’élevaient, agités au bout des baïonnettes, des sabres, des épées. Une clameur, surmontant le bruit du canon, descendit, reprise et amplifiée par les corps qu’elle atteignait. Bernard et son bataillon, soulevés d’enthousiasme, la relancèrent à leur tour à pleine poitrine, en agitant aux aussi leurs chapeaux. L’armée tout entière criait : « Vive la nation ! » Cette voix prodigieuse couvrit pendant un moment le fracas de l’artillerie. Et quand ce tonnerre humain se tut, tout le centre français, en colonnes par bataillons, baïonnettes pointées, s’élança au pas de charge, avec la cavalerie dans les intervalles, à la rencontre des lents carrés prussiens. « Allons-y ! En avant ! » s’écriaient les volontaires de Bernard, électrisés et oubliant la discipline. « Du calme, mes amis : leur cria-t-il. Nous devons attendre. Voyez là-bas : l’ennemi ménage le gros de ses forces, il ne faut pas jeter les nôtres toutes à la fois dans la bataille. Et regardez, regardez, citoyens !… Victoire ! Les voilà qui lâchent pied. Victoire ! »
    Saisi, bouleversé, il criait en faisant tournoyer son chapeau, comme Malinvaud, comme le tambour-maître. Derrière eux, sur toute la ligne, c’était une tempête d’acclamations triomphantes. Les colonnes prussiennes, foudroyées par l’artillerie qui les recevait à mitraille, avaient difficilement avancé vers la route, pour entendre là cette grandiose voix d’une armée qu’elles croyaient effrayée, prête à la débandade, et voilà qu’elle clamait sa résolution, qu’elle attaquait même, se déversant avec furie sur la pente du plateau en chantant à pleine gorge Ça ira. Brunswick comprit que jamais son attaque n’atteindrait la position ennemie, que ses troupes déjà flottantes se feraient hacher inutilement dans cette vallée. Il les rappela. Avant même que la charge française les eût atteintes, la retraite sonnait, les colonnes royales se retiraient, abandonnant le terrain rougi de sang et semé de cadavres.
    Sur les pentes adverses, le risque eût été le même pour Kellermann. Lui aussi, il ramena ses régiments. D’un côté comme de l’autre, le canon se tut. « Rompez les rangs, formez les faisceaux, dit Bernard, reposez-vous et mangez. » Et comme on lui demandait si la bataille était gagnée. « Pas encore, sans doute, répondit-il. L’ennemi fera probablement d’autres efforts, mais il lui reste, je crois, peu de chances de réussir, y mettrait-il toutes ses réserves, ce qui ne lui est pas possible. »
    Bernard jugeait bien. Jusqu’à quatre heures de relevée, les deux armées demeurèrent face à face, dans l’expectative. Estimant la position française inexpugnable, Brunswick se refusait à poursuivre l’attaque. Ce fut le roi lui-même, indigné, qui la commanda. On le voyait avec son état-major parcourir les lignes. Sans doute exhortait-il ses troupes, leur reprochant amèrement leur impuissance et l’offense infligée au drapeau de la monarchie. On imaginait sans peine ses paroles : un ramassis de tailleurs et de savetiers déguisés en soldats, comme disaient les émigrés dans leurs gazettes, arrêterait-il l’illustre armée de Prusse ! Dans la clarté déclinante, trois autres colonnes d’infanterie et de cavalerie, plus puissantes encore que les précédentes, se mirent en marche. La lumière oblique en soulignait tous les détails et chaque homme, chaque cheval, de ces trois corps descendant d’un même mouvement, dans un étincellement d’acier. Sur toute la ligne française, les aides de camp coururent, portant l’ordre : « En colonnes par bataillons. » Les tambours roulèrent, les compagnies opérèrent leur conversion, et leurs têtes s’avancèrent

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