Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
« Allez, général. Rejoignez Dumouriez et battez maintenant les Autrichiens. »
    En vérité, on n’avait pas encore battu les Prussiens. Ils demeuraient solidement campés sur les hauteurs de la Lune. Leur cavalerie, leurs fourrageurs écumaient le pays, les uhlans poussaient des pointes jusqu’à Châlons, et au-delà. Une suspension d’armes avait été conclue. Elle n’intéressait que le front. Patrouilles, détachements ne cessaient d’escarmoucher, chaque armée défendant ses lignes de communication tout en s’efforçant de couper celles de l’ennemi pour le priver de vivres, de munitions, de ressources. On faisait ce que Malinvaud appelait « la petite guerre du rôti ». On la faisait dans la boue, car depuis le 21 il cessait rarement de pleuvoir. Les lourdes pluies d’automne, qui chassaient les feuilles, détrempaient la terre argileuse sur laquelle l’eau ruisselait, remplissant les ornières creusées par l’artillerie et les chariots, s’accumulant dans tous les creux, s’infiltrant sous les tentes, mouillant les couvertures. On vivait dans l’humide, le blanc crayeux et gras qui collait partout.
    Cela n’empêcha pas les différents corps d’armée d’accueillir avec un prodigieux enthousiasme les commissaires du gouvernement venus, le 24, proclamer l’abolition de la royauté. Toute l’armée cria : « Vive la République ! » Ce fut alors que Bernard entendit pour la première fois l’hymne des Marseillais. Les commissaires en avaient apporté des exemplaires et les généraux les firent distribuer aux musiques des régiments. Comme il avait bouleversé Claude, cet hymne empoigna Bernard, ses hommes, l’armée entière. Dès cet instant il devint pour eux le chant même de la jeune république. Seuls, certains officiers de ligne reçurent assez mal la proclamation. La double autorité de Kellermann et du général en chef leur imposa silence.
    On sut, dans le camp, que les envoyés de Paris avaient une autre mission : celle de ramener l’armée derrière la Marne pour garantir la capitale inquiétée par les incursions des uhlans. Dumouriez s’y refusait. Il se prétendait sûr de contraindre les Prussiens à la retraite en leur rendant la situation intenable. Les commissaires lui avaient accordé finalement six jours. Le 1 er  octobre, il devrait abattre ses tentes.
    Le 26 septembre, Bernard, dont les compagnies fournissaient à tour de rôle des patrouilles, reçut l’ordre d’aller avec tout son bataillon se poster aux abords d’Auve en soutien de la cavalerie opérant sur la route de Châlons. Quand on partit, il était sept heures moins quelques minutes et il bruinait. Plutôt que de patauger dans les sentes, d’y embourber la petite artillerie bataillonnaire tirée à la bricole, Bernard décida de prendre carrément la route, à Dommartin. Cela représentait un risque. Il y para en faisant charger dès à présent les pièces dont on boucha les lumières pour que la poudre ne fût point mouillée, et en se couvrant par une compagnie d’éclaireurs et par une autre en flanc-garde du côté de Gizaucourt. Pendant plus d’une heure, on avança ainsi sans la moindre alerte. De temps à autre, on entendait au loin de petites canonnades ou de la mousqueterie dispersée. Le paysage, noyé dans la grisaille, semblait désert, jusqu’au moment où l’on aperçut les vedettes de la cavalerie. Celle-ci, disséminée par pelotons autour du village d’Auve dont les habitants avaient fui, consistait en un escadron entier de dragons à l’étendard vert, à l’habit vert, au casque sommé d’une chenille noire et ceint du turban de peau de tigre.
    À la gauche du village qui groupait ses quelques chaumières autour d’une vieille église, un étang ouvrait deux branches formant un large V renversé. Bernard établit dans ce triangle le gros du bataillon, protégé sur ses flancs et ses arrières par l’étang, répartit trois pièces sur ce front, distribua les autres à quatre compagnies qu’il échelonna sur les pentes dominant le croisement de la grand-route et d’une route transversale venant de l’Argonne. Ces dispositions prises, la cavalerie, assurée d’un solide soutien si elle devait se replier, s’en alla par pelotons en laissant quatre hommes et un maître pour la liaison. Grand responsable de toutes les troupes en l’occurrence, Bernard, préoccupé de savoir s’il avait bien fait ce qu’il devait faire, visita les postes. Il lui semblait

Weitere Kostenlose Bücher