Les autels de la peur
chercher au troisième ou au dernier étage de sa maison obscure. C’est là que logent le patriotisme et la vertu. » Couthon puis Chabot combattirent vivement la proposition comme un vestige des privilèges royaux. Ce faisant, ils se déclarèrent contre la royauté. Claude sentit l’occasion propice. Il demanda la parole, gravit rapidement les degrés de la tribune, « Nous savons tous, dit-il, après les funestes résultats auxquels a conduit l’expérience d’une monarchie constitutionnelle, que la continuation de la royauté, sous une forme ou une autre, n’est pas possible. Nous sentons tous que nous sommes ici pour inventer un autre mode de gouvernement. Toutes les paroles prononcées, par les présidents, par les orateurs, en font foi. C’est le vœu de nos mandants, c’est notre devoir. Nous ne pouvons point l’ajourner, nous ne pouvons pas demeurer dans le statu quo ; il durerait jusqu’au vote d’une nouvelle constitution et prolongerait jusque-là le désordre où nous sommes depuis le 10 août. Je demande donc que dès maintenant nous organisions la république. » Adroitement – avec ce sens des impondérables, que Lise admirait déjà, à Limoges, quand elle n’aimait pas encore son mari, – il n’avait pas parlé d’instituer la République, il demandait simplement que l’on mît en ordre la chose publique. Il ne voulait pas effaroucher. Ce qui importait, c’est que le mot, avec son acception équivoque, eût retenti dans cette enceinte. Et les tribunes applaudissaient ce bref discours. Claude sourit pour lui-même en songeant à l’homme aux lunettes.
Danton se levait au banc des ministres pour prendre à son tour la parole. En le croisant au bas des degrés, Claude lui chuchota : « Je t’avais dit que tu nous donnerais la République. Tu nous y as menés, ne va pas reculer maintenant.
— C’est bon, c’est bon, république si l’on veut, mais pas comme l’entendent Momoro et autres », grogna Danton.
Momoro, Hébert, le journaliste Sylvain Maréchal, adoptant les idées du secrétaire de la commission des subsistances : Babeuf, souhaitaient un État totalement démocratique, où tous les biens seraient communs. À l’assemblée électorale, il avait été question, un instant, de partager les terres et les fortunes : une folie d’« enragés », dont les échos provoquaient encore l’indignation, la crainte, la suspicion contre les robespierristes accusés de vouloir instaurer la loi agraire pour une distribution des propriétés. Comme Robespierre, Claude ne jugeait point si folles ces idées. Elles répondaient au principe démocratique et s’apparentaient à celle qu’il envisageait autrefois, à Limoges : la suppression des fortunes. Cela n’était pas réalisable et ne le serait pas de longtemps. Au moment où le crédit public reposait sur la vente des biens nationaux, il ne n’agissait pas d’aller dire à leurs acquéreurs : « Partagez-les avec les citoyens qui ne peuvent point acheter. » Quant à Danton, en train d’arrondir son domaine d’Arcis, il ne ressentait assurément aucune envie d’en distribuer la moindre parcelle. Au reste, il avait, ce matin, un air des plus sages. Il ne portait plus son habit sang de bœuf mais son frac bleu très ministériel, filet de satin blanc, manchettes, cravate impeccables.
Posément, il déclara qu’il fallait d’abord détruire les vains fantômes de dictature, les idées extravagantes de triumvirat, toutes les absurdités inventées pour effrayer le peuple. « Il convient de décider que la nouvelle constitution, quoi qu’elle soit, sera soumise à l’approbation des assemblées primaires. Ainsi elle sera nécessairement démocratique. » Il insista sur la nécessité de tout revoir, tout recréer. « La Déclaration des droits elle-même n’est pas sans tache, elle doit passer à la révision d’un peuple vraiment libre. Mais, ajouta-t-il, il faut aussi rassurer les bons citoyens qui ont pu présumer que des amis ardents de la liberté pouvaient nuire à l’ordre social en exagérant leurs principes. » Il prit un temps, et, haussant la voix : « Abjurons ici toute exagération, déclarons que toutes les propriétés territoriales, individuelles et industrielles seront éternellement maintenues. »
Les députés et la plus grande partie de l’assistance applaudirent. La motion, rédigée en décret, fut votée aussitôt. Manuel alors demanda que la question de la royauté
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