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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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République française, lequel commençait en ce 22 septembre 1792. Elle était donc officiellement reconnue, mais aucune cérémonie, aucune célébration solennelle, ne salua sa naissance. On l’admettait comme une conséquence, et la plupart de ceux-là mêmes qui l’avaient amenée : Robespierre, Danton, Marat, Desmoulins, Brissot, Buzot, Vergniaud, Guadet, Isnard, l’acceptaient sans bonne grâce, alors que le peuple l’accueillait avec une véritable ivresse. Toute la nuit Paris, sorti brusquement de la peur, avait été illuminé, parcouru de chants et de cris d’allégresse. Cette divergence laissait Claude rêveur.
    Le soir, chez Danton, il connut la canonnade de Valmy. Westermann venait d’en apporter la nouvelle. Véritable victoire : non, car les Prussiens, dont les pertes s’élevaient au plus à un millier d’hommes, contre deux cent cinquante du côté français, conservaient leurs forces et leurs positions. À cause de la faute commise par Kellermann négligeant Dampierre, Brunswick tenait, par Gizaucourt, la route de Châlons. Il pouvait pousser à tous risques sur Paris. C’était néanmoins un succès très marqué : on montrait aux coalisés et à l’Europe entière que la Révolution possédait une armée capable de résister aux fameuses troupes prussiennes. La promenade militaire promise à Frédéric-Guillaume par Calonne et les émigrés se changeait en une campagne meurtrière, difficile, et il ne semblait pas impossible qu’avec ses soucis polonais il n’en fût maintenant à se mordre les doigts de s’être allié à la maison d’Autriche contre la France. Danton, comme il avait expédié Chévetel aux royalistes, fit repartir Westermann, en lui adjoignant Fabre, avec mission de négocier par n’importe quel moyen la retraite du roi de Prusse.
    Dumouriez avait envoyé le duc de Chartres, fils aîné de Philippe d’Orléans, qui s’appelait à présent Philippe Égalité, pour donner les nouvelles au ministre de la Guerre. Quand le jeune prince se présenta, Servan, malade, gardait la chambre, et ses collègues s’étaient réunis chez lui. Le duc, lieutenant-général à l’armée de Kellermann, venait de recevoir un autre commandement à Strasbourg. Après avoir fourni des détails sur la bataille, il se plaignit de ce changement. Servan éluda la question. Au moment où le très jeune général sortait, quelqu’un qu’il ne connaissait point l’arrêta et lui dit à l’oreille : « Servan est un imbécile. Venez me voir demain, j’arrangerai votre affaire.
    — Qui êtes-vous, monsieur ? demanda Louis-Philippe.
    — Danton, ministre de la Justice. »
    Le général de dix-neuf ans : grand garçon flegmatique – mais qui avait rétabli la situation au moulin de Valmy en ralliant, un drapeau à la main, les troupes ébranlées par la canonnade et en faisant avancer l’artillerie de réserve, – se rendit le lendemain matin à la Chancellerie. Il portait l’uniforme vert épinard à parements roses dans lequel Bernard l’avait remarqué sur la butte pendant l’action. Danton le reçut familièrement. « Vous ne pouvez rester auprès de Kellermann, lui dit-il, vous irez avec votre frère Montpensier à l’armée de Dumouriez. Cela vous convient-il ? » Louis-Philippe remercia, prêt à se retirer. Le ministre le retint. « Un conseil avant votre départ. Vous parlez trop. Vous êtes à Paris depuis vingt-quatre heures à peine, et plusieurs fois déjà vous avez blâmé l’affaire des prisons.
    — Eh bien, n’est-ce pas un horrible massacre ?
    — Vous voyez que vous parlez trop. Ce massacre, c’est moi qui l’ai fait. »
    Le prince eut un sursaut. « Oui, c’est moi. Frémissez à votre aise mais taisez-vous. Les Parisiens sont des jean-foutre. Il fallait mettre une rivière de sang entre eux et les émigrés. Vous êtes trop jeune pour comprendre de telles choses. Retournez à l’armée. Vous avez un avenir, mais n’oubliez pas qu’il faut vous taire. Enfermez-vous dans votre métier de soldat sans vous mêler de politique, réservez-vous. La France reverra la monarchie démocratique. Je vous étonne sans doute en vous tenant ce langage. Vous y repenserez plus tard, vous verrez ce qu’il en coûte de donner au peuple les deux biens qu’il désire le plus et qu’il sait le moins garder : l’ordre et la liberté. » Et, dans un de ces élans du cœur auxquels le poussait sa nature, il conclut d’un ton quasiment affectueux :

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