Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
temps précieux que nous devons à la nation. » Applaudi, Barère proposa de passer à l’ordre du jour en le motivant ainsi : « Considérant que la Convention nationale ne doit s’occuper que des intérêts de la république…»
    Maximilien bondit. « Je ne veux pas de votre ordre du jour s’il renferme un préambule injurieux. »
    On vota l’ordre du jour pur et simple. C’était la défaite sans phrases des Rolandistes, la victoire de Robespierre et, avec lui, de la Montagne tout entière.
    La nouvelle provoqua des transports dans la foule qui avait envahi les abords du Manège. Lorsque Robespierre sortit, un cortège se forma pour le conduire triomphalement, par la rue illuminée, jusqu’aux Jacobins. Il y fut accueilli par de longs applaudissements.
    « Qu’il parle ! s’écria le moustachu Merlin. Lui seul peut rendre compte de ce qu’il a fait aujourd’hui.
    — Je le connais trop bien, répondit son hôte, Duplay, pour n’être point sûr qu’il se taira. Ce jour est le plus beau qu’ait vu éclore la liberté. Robespierre, accusé, persécuté comme un factieux, triomphe. Son éloquence mâle et naïve a confondu nos ennemis. Barbaroux s’est réfugié à la barre. Le reptile ne pouvait soutenir le regard de l’aigle. »
    Robespierre ne parla point, en effet, sinon pour remercier avec sentiment ses frères et amis de leur touchante affection. En revanche, de nombreux orateurs, dont Panis, Fabre d’Églantine, se livrèrent à d’emphatiques déclamations. Manuel lut le discours bref et plein de dignité qu’il n’avait pu prononcer à la Convention pour défendre Robespierre. Collot d’Herbois interpella sévèrement Barère sur « les pygmées, les hommes d’un jour, les petits entrepreneurs de révolutions ». Déconcerté par le véritable triomphe fait à Maximilien qu’il croyait dépopularisé, Barère aurait bien voulu rattraper ces paroles. Il se targua d’avoir, par son ordre du jour, porté le coup décisif à la faction rolandiste, et enfin, bafouillant un peu, déclara sans rougir que les mots en question s’appliquaient aux Brissotins. « Ah ! bien, celui-là ! s’exclama Claude, il est renversant ! » On riait. La palinodie de Barère lui valut quelques flèches, mais on lui pardonna avec mépris. Dans l’ivresse de la victoire, on l’oublia. Danton était là, il ne parla point. La défaite de ceux qui s’obstinaient à le traiter en ennemi ne le réjouissait pas. Il ne gardait plus aucun espoir de sauver le Roi. Les précautions prises par la Commune, au Temple, rendaient maintenant impossible toute tentative d’enlèvement. Delacroix et Chabot avaient dû renoncer, et Danton voyait les Girondins conduire le Roi tout droit à l’échafaud.

VI
    Depuis un mois, Bernard avait participé au harcèlement de l’armée prussienne dans sa retraite. Puis, Dumouriez rappelant ses lieutenants sur la frontière belge, Beurnonville était allé le rejoindre avec tous ses corps à Valenciennes. On était resté là, au repos et relativement à l’aise dans le camp, attendant trente mille paires de souliers ainsi que des tentes neuves, des voitures régimentaires et autres fournitures promises par le nouveau ministre de la Guerre : Pache, successeur de Servan. Rien n’arrivait. Les armes et les munitions ne manquaient pas, les vivres non plus, encore que parfois il y eût peu de pain, mais l’équipement se détériorait toujours davantage. Le premier des soucis militaires de Bernard, quand il formait sa compagnie, à Limoges : les chaussures, avec lesquelles il s’attendait à des ennuis, était devenu son cauchemar permanent. On avait bien récolté les souliers des morts prussiens jalonnant les routes, on avait bien acheté ou maraudé dans les fermes quelques paires de sabots. Cela ne suffisait point à chausser le bataillon. Bernard, dont les semelles tenaient par des ficelles, voyait certains de ses soldats nu-pieds. D’autres se faisaient des bottes de foin serré par des bandes d’étoffe. Tous criaient contre le ministre et les incapables qui laissaient les défenseurs de la nation dans un tel dénuement. Néanmoins l’enthousiasme l’emportait sur la mauvaise humeur. C’est que les nouvelles exaltantes affluaient. La France n’en était plus à se défendre. Non seulement on avait chassé les Prussiens, mais on attaquait au-delà de toutes les frontières. Un certain général Montesquiou libérait la Savoie, un autre : Anselme, le

Weitere Kostenlose Bücher