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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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d’une heure. Beurnonville, situé par son fanion de chef de corps d’armée, était là sur la route, en avant, et il se faisait un mouvement continuel d’officiers à cheval venant rendre compte. Un aide de camp amena de l’artillerie montée qui établit ses pièces de 8 en batterie devant l’état-major et se mit à canonner un village accroché sur la côte. Sans lunette, on le voyait mal, dans sa couronne d’arbres sans feuilles mais serrés. Le haut d’un moulin aux ailes squelettiques et immobiles pointait par-dessus. Son toit bien détaché sur le gris du ciel bas, ne tarda pas à sauter en morceaux. « C’est le village de Boussu », dit à Bernard et Malinvaud le chef d’un bataillon de volontaires belges qui se tenaient au bord de la chaussée. « Les éclaireurs l’ont trouvé occupé par des chasseurs tyroliens. Ce sont de redoutables tireurs avec leurs carabines. On ne les délogera pas aisément. » Mais que peuvent les carabines contre des boulets et des obus ! Ils semblaient causer là-haut des ravages. Une brume de poussière s’élevait, poussant ses volutes entre les troncs plus noirs des arbres dont les branches volaient. Il n’y avait pas d’artillerie sur la position, ou seulement des pièces d’infanterie auxquelles la distance ne permettait pas de riposter.
    Tandis que les canons continuaient méthodiquement leur tir, un aide de camp vint faire avancer la colonne belge et une colonne française de droite. Tambours battants, les deux bataillons partirent, montèrent la côte sous leurs drapeaux. Quand ils parvinrent à portée de l’objectif, la batterie cessa son feu. C’était à eux maintenant d’utiliser au besoin leur artillerie légère. Rapetissés par la distance et comme perdus dans le vaste paysage, on les vit s’ouvrir en éventail. Ils pénétrèrent entre les arbres. Aussitôt une fusillade furieuse se déclencha, bientôt ponctuée par les détonations de petites pièces.
    Bernard se douta de ce qui était advenu. Il l’eût fait lui-même en pareille occurrence. Pendant la canonnade, les Tyroliens – puisqu’il s’agissait de Tyroliens – s’étaient disséminés, laissant les boulets éventrer le village. Après quoi ils l’avaient tranquillement réoccupé, pour attendre l’attaque bien retranchés dans les ruines, et ils l’accueillaient par un feu d’enfer. Des groupes reparurent en désordre sur la route, puis, ramenés par les officiers, avancèrent de nouveau dans la fumée.
    « Ça ne va guère, il me semble », dit Malinvaud.
    Tel dut être également l’avis de l’état-major, car le général de brigade Roustan, sur son cheval pommelé, partit en personne avec un troisième bataillon qu’il emmena au pas accéléré. Ils disparurent à leur tour dans le nuage sulfureux masquant le haut de la côte. Pendant ce temps, le général Harville rapprochait toute la division. Bernard et sa colonne, dépassant un bouquet d’arbres hachés, arrivèrent ainsi à petite distance du village, juste en face de ce qui avait dû être son entrée, obstruée maintenant par des éboulis de moellons et un enchevêtrement de poutres. Au-delà, à travers le voile fuligineux, on apercevait des pans de murs démolis, des tas de gravats, des toits de chaume disloqués. L’un d’eux, incendié par quelque gargousse sans doute, brûlait avec une flamme claire qui dévorait la fumée de la poudre. La fusillade, extraordinairement nourrie, déchirait les tympans. Néanmoins on entendait un tambour battre la charge : bruit perdu, étrangement humain dans ce crépitement infernal. Des silhouettes s’agitaient. On les devinait tapies contre les restes des maisons, tiraillant et s’efforçant en vain de s’élancer. Parfois le cri aigu d’un homme cueilli par une balle perçait le vacarme. Un blessé apparut entre les murs. Titubant, plié en deux, il se tenait le ventre à deux mains. Le sang lui suintait entre les doigts. D’autres, et encore d’autres commencèrent de déboucher sur la route, les moins atteints soutenant les plus gravement touchés. Quelques-uns traînaient encore leurs fusils. Derrière eux, des groupes, tirant toujours, refluaient peu à peu, par vagues, tandis que les projectiles les suivaient, venaient soulever autour d’eux des jets de poussière. Bernard porta son épée, le tambour-maître fit un roulement. « Front de compagnies. Ouvrez les rangs. Apprêtez les armes », commanda Bernard pour accueillir les troupes en

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