Les autels de la peur
entretien ; je lui adressai des observations sur ses écrits, sur leur exagération et sur le regret qu’éprouvaient les patriotes de lui voir compromettre notre cause par la violence de ses opinions. Il me qualifia de politique à vues étroites et publia, le lendemain, qu’il n’avait trouvé en moi ni la profondeur ni l’audace d’un homme d’État. Cela, je pense, répond assez bien à mes calomniateurs. »
Passant alors des imputations personnelles aux accusations générales dirigées contre la Commune, Robespierre répéta ce que les défenseurs de celle-ci avaient déjà dit : le 2 septembre était la suite du 10 août. Après coup, on avait beau jeu de marquer la limite où l’insurrection aurait dû s’arrêter ; dans le moment et dans la réalité, il en allait tout autrement. Sans doute la fermeture de Paris, les perquisitions, les arrestations, les exécutions sommaires étaient-elles illégales, mais la prise de la Bastille, le renversement du trône, toute la Révolution étaient illégaux. « Pleurez, ajouta-t-il, pleurez quelques innocents malheureusement confondus avec les coupables, pleurez même les victimes réservées à la vengeance des lois et qui sont tombées sous les coups de la justice populaire. Mais gardons quelques larmes pour des calamités plus touchantes. La sensibilité qui gémit exclusivement sur les ennemis de la liberté m’est suspecte. Calomniateurs éternels, cessez d’agiter sous mes yeux la robe sanglante du tyran, ou je croirai que vous voulez remettre Rome dans les fers. Voulez-vous donc venger le despotisme ! Voulez-vous flétrir le berceau de la République ? Pour moi, je ne prendrai aucune conclusion personnelle. Je renonce à la revanche que j’aurais le droit de poursuivre. Je ne veux que le retour de la paix, la liberté de tous, la fraternité. Citoyens, parcourez d’un pas ferme et rapide votre superbe carrière. Puissé-je, aux dépens de ma réputation même, et s’il le faut de ma vie, concourir avec vous à la gloire et au bonheur de notre patrie. »
Pas une fois l’orateur n’avait été interrompu. Seuls, des murmures d’approbation l’avaient accompagné à diverses reprises. Sa péroraison fut couverte d’applaudissements par la très grande majorité des représentants comme du public. L’évidente inanité des accusations, et surtout la modération de Robespierre à y répondre, la hauteur de ses vues, cet appel final à l’union charmaient tous ceux qui, dans l’Assemblée, avaient leur soûl des stériles querelles et des disputes entre personnes.
En un instant, la clôture des débats par l’impression du discours fut votée malgré les vociférations de Barbaroux, de Louvet, furieux de ne pouvoir répliquer à Robespierre. Tout un groupe d’orateurs de la droite se pressait au pied de la tribune. Barbaroux, en rage contre le président qui leur refusait la parole, courut à la barre pour se faire écouter au moins comme pétitionnaire. Égaré de colère, le trop beau sigisbée de M me Roland frappait des poings la barre en criant : « Vous m’entendrez ! Vous m’entendrez ! » Les tribunes le huaient. « Si vous ne m’entendez pas, je serai réputé calomniateur.
— Tu n’es rien d’autre ! » lui répondait-on des galeries en l’accablant de sarcasmes. Quelqu’un lui jeta : « Tu as oublié le temps où tu écrivais à Marat en l’appelant Cher Maître ! »
Gensonné, au fauteuil, avait cassé sa sonnette et menaçait de lever la séance. Au milieu de la Plaine, Barère, l’élégant Barère qui avait été un constituant monarchiste des plus effacés et devenait maintenant le chef d’orchestre du centre, se dressa. On fit en sa faveur un peu de silence. « Citoyens, dit-il, je ne puis m’empêcher de m’opposer à ce que notre collègue Barbaroux soit entendu. Il oublie qu’il devra juger comme député les pétitions qu’il formulerait comme citoyen. Mais pourquoi nous attarder à ces accusations de dictature ? Ne faisons pas des piédestaux à des pygmées. S’il existait dans la république un individu né avec le génie de César ou l’audace d’un Cromwell, un individu qui, avec le talent de Sylla, en aurait les dangereux moyens, un tel individu pourrait être à craindre et je viendrais l’accuser devant vous. Mais des hommes d’un jour, de petits entrepreneurs de révolutions, dont les couronnes civiques sont mêlées de cyprès, ne sont pas faits pour occuper le
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