Les autels de la peur
tablette tandis qu’il attendait le silence. Alors sa voix aiguë et grêle s’éleva. Après avoir brièvement invoqué la justice de la Convention, il entra dans le vif.
« De quoi suis-je accusé, citoyens ? D’avoir conspiré pour parvenir à la dictature, au tribunat, au triumvirat. Reconnaissez qu’un tel projet eût été singulièrement ambitieux ; car, pour l’exécuter, il fallait d’abord renverser le trône, puis anéantir la législation, et surtout empêcher la formation d’une nouvelle assemblée nationale. Alors, comment expliquera-t-on que, jusqu’au moment où le vœu de la nation a été nettement prononcé, j’aie toujours recommandé le respect du trône, l’obéissance à la Constitution ? Les procès-verbaux des Jacobins sont là pour en faire foi, et nombre d’entre vous pourraient en témoigner. Si je voulais anéantir la législation, comment expliquera-t-on que j’aie combattu comme illégale la pétition cordelière du Champ de Mars ? Comment expliquera-t-on enfin que j’aie, le premier, dans mes discours et mes écrits, appelé pour remède aux maux de la patrie une Convention nationale ? »
Ces faits n’étaient pas discutables. L’argument suscita des murmures approbateurs. Robespierre poursuivit : « Peut-on me dire par quels moyens je fusse parvenu à établir ma dictature. Où sont mes trésors ? où sont mes armées ? où sont les grandes places d’où j’aurais exercé mon influence ? Tout cela se trouve non dans mes mains mais entre celles de mes accusateurs. On me reproche d’avoir parlé sans relâche aux Jacobins pour m’imposer grâce à eux. Depuis le 10 août, j’y ai pris la parole six fois. Avant le 10, je travaillais avec eux à préparer la sainte insurrection contre la tyrannie, contre la Cour traîtresse, contre La Fayette. Lui aussi demandait alors des décrets contre les vieux Jacobins. Voulez-vous, à son exemple, diviser le peuple en deux : les honnêtes gens et les sans-culottes considérés comme de la canaille ? On me reproche d’avoir accepté les fonctions municipales. Mes accusateurs les ont occupées en même temps que moi. Ils m’ont vu entrer en maître dans la Halle. C’est-à-dire qu’en entrant j’allai au bureau faire vérifier mes pouvoirs. Ai-je jamais présidé ce conseil ? Je n’y ai figuré que comme le plus ordinaire de ses membres. Tout en me reprochant d’avoir siégé à la Commune, on me reproche de n’y avoir pas siégé avant le 10. J’y fus nommé seulement ce jour-là. Je suis loin de vouloir ravir l’honneur du combat et de la victoire à ceux qui, réunis à l’Hôtel de ville dans cette nuit terrible, armèrent les citoyens, dirigèrent les mouvements, arrêtèrent Mandat porteur des ordres perfides de la Cour. Mais y étaient-ils, mes accusateurs ? Louvet y était-il ? Quant aux journées des 2 et 3 septembre, ceux qui ont dit que j’avais eu la moindre part à ces événements sont des hommes ou bien crédules ou bien pervers. À cette époque je n’allais plus l’l’Hôtel de ville. »
Diantre ! L’affirmation était un peu légère. Maximilien allait se faire relever vertement là-dessus. Avait-il la mémoire si courte ? ou se donnait-il le change à lui-même ? Ses ennemis, eux, ne le prendraient pas. Qui ne se souvenait d’avoir vu Robespierre, le 2, au Conseil général, dénoncer le prétendu complot en faveur de Brunswick !
Déjà Maximilien répondait à d’autres griefs. « J’ai, prétend-on, insulté l’Assemblée législative, je l’ai menacée d’une insurrection. C’est inexact. Ce soir-là, quelqu’un, en effet, quand j’étais à la barre, m’accusa de vouloir faire sonner le tocsin. Je lui répondis que les sonneurs de tocsin étaient ceux qui aigrissaient les esprits par l’injustice. Un de mes collègues, moins réservé, ajouta qu’on le sonnerait s’il fallait. Voilà sur quelle apparence on a bâti contre moi cette fable. On me reproche enfin d’avoir pris la parole dans l’assemblée électorale pour recommander Marat. J’y ai pris la parole, il est vrai, comme bien d’autres, pour des observations, mais je n’y ai jamais accusé ou recommandé personne, je peux produire des témoins. Pourquoi aurais-je parlé en faveur de Marat ? Il n’est pas mon ami et me fut toujours étranger. Si je jugeais de lui par ceux qui l’attaquent, il serait absous, mais je ne prononce pas. Je dirai simplement que j’ai eu avec lui un seul
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