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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Les armes jetaient des éclairs dans la nuit où les lueurs des réverbères, les torches, les lanternes, montraient, mêlées à une majorité de curieux, des figures sinistres de septembriseurs, le nez rouge, le bonnet rabattu sur les oreilles, avec de gros cache-nez, la pique, le gourdin ou le sabre à la main. Les canonniers des sections avaient allumé leurs mèches. Des patrouilles fendaient avec peine la presse pour ménager un chemin aux députés qui rentraient. Dans la cour des Feuillants, un groupe de tape-dur et de harengères les attendaient. Ils saluèrent fraternellement Legendre, Billaud-Varenne et Claude arrivant ensemble. Derrière eux, Villette, le mari de la pupille de Voltaire, fut saisi et sommé, un sabre sur la poitrine, de voter la mort. « Non, répondit-il sans faiblir, je ne la voterai pas et vous ne m’égorgerez point. Vous respecterez ma conscience, la liberté et la nation. » Ce sybarite efféminé, auquel on attribuait le goût des beaux garçons, ne manquait pas de courage.
    « Lâchez-le ! » ordonna une voix profonde. Claude reconnut le grand Maillard en habit gris, avec sa longue figure creuse et pâle. « Bonsoir, citoyens, dit-il. Avancez sans crainte, nous ne sommes venus que pour vous défendre. Il y a ici maint chevalier du poignard. »
    Dans le couloir de toile et le couloir circulaire, on défilait entre des paquets de sectionnaires. Par respect pour la Maison nationale, cachant leurs armes ils se tenaient silencieux, en ordre, sous le regard de leurs chefs : Fournier l’Américain, Verrières.
    « On compte sur vous, frères, murmura le bossu.
    — Sois tranquille, lui répondit Legendre. Tu nous connais. »
    Les spectateurs se comprimaient dans les vomitoires, dans les entrées de la piste où ils se glissaient peu à peu, se mêlant aux députés malgré les efforts des contrôleurs et des huissiers à chaîne. Les tribunes, les deux galeries débordaient. Là, au milieu d’un public hétérogène : frères des sociétés populaires, ouvriers sans travail, tricoteuses, étrangers, soldats permissionnaires, bourgeois curieux ou espions royalistes déguisés, petits marchands, Nicolas Vinchon se trouvait coincé entre les rondeurs de l’appétissante cordonnière patriote, Françoise Miallon, et les aspérités d’un sexagénaire tout en angles qui ne cessait de marmonner bien civilement : « Pardon, monsieur ! » Au-dessous, des loges étaient pleines de créatures parées, amies ou maîtresses des représentants : du riche Saint-Fargeau, de Philippe Égalité, du libertin Séchelles – non rentré de mission en Alsace –, du fastueux baron Anacharsis Clootz, et de filles galantes ou de poissardes invitées par d’autres Jacobins moins reluisants. Avec les sept cents députés revenus à leurs banquettes, toute cette humanité chauffait la salle mieux que les deux énormes poêles de faïence bastilliformes. Dans les hauteurs où l’air chaud s’accumulait, soulevant et faisant flotter comme au vent d’une bataille les drapeaux ennemis suspendus au plafond, Nicolas fondait en eau.
    À huit heures précises, Vergniaud, après avoir averti le public que l’on ne souffrirait ni applaudissements ni cris d’aucune sorte, fit tirer au sort par un des secrétaires le département par lequel allait commencer le vote. Ce fut la Haute-Garonne. Dans le silence brusquement tombé, l’appel nominal commença.
    « Jean-Baptiste Mailhe. »
    C’est lui qui avait présenté, au nom du comité de législation, le rapport concluant au jugement du roi. « Il… il a reçu d’Ocariz trente mille livres pour agir en faveur de Louis », chuchota Desmoulins tandis que Mailhe gagnait la tribune.
    « Je vote la mort », déclara-t-il fermement.
    « Ah bas ! On… on ne l’a pas payé assez cher, il faut croire », dit Camille au moment où le Toulousain reprenait : « Mais je crois qu’il serait digne de la Convention nationale d’examiner si l’on ne devrait pas retarder le moment de l’exécution. »
    Il y eut une rumeur. Le sursis ! C’était l’ultime manœuvre. « Bien maladroite, observa Robespierre. Il fallait attendre la sentence pour proposer un sursis. » En effet, certains n’hésiteraient plus à voter une peine sévère en comptant qu’elle ne serait pas appliquée.
    À Mailhe succédèrent ses collègues de la Haute-Garonne, puis le défilé se poursuivit avec lenteur. D’aucuns expliquaient longuement leur vote. La mort, le

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