Les autels de la peur
bien à présent : tout donnait à prévoir une nouvelle « journée ».
Pourtant, le troisième scrutin n’était pas annoncé. Les débats s’ouvrirent non point sur le jugement du roi mais sur la situation de Paris. Elle réclamait des mesures urgentes. La veille, dans la relevée, un autre meurtre sauvage avait été commis : un colporteur de livres et de journaux, accusé par un passant de distribuer des écrits en faveur de l’appel au peuple, avait été déchiqueté à coups de couteau dans la galerie du Palais-Égalité. Le soir même, au théâtre du même palais, une pièce de Laya : L’Ami des Lois, dans laquelle on pouvait voir des intentions monarchistes et que, depuis deux jours, les royalistes venaient applaudir, avait provoqué une émeute entre eux et des républicains. Des dragons de la république, forçant la consigne de leurs casernes, s’étaient répandus, le sabre à la main, dans la ville où ils avaient causé des désordres et du saccage. Des bruits de nouvelles visites domiciliaires, de nouveaux massacres dans les prisons, se propageaient, provoquant une panique générale. Des files de voitures, pleines de fuyards affolés, encombraient les barrières. La municipalité venait de les fermer, disait-on. Elle avait également, pour couper court au trouble, ordonné la suspension de tous les spectacles, mais le Conseil exécutif avait aussitôt révoqué cet arrêté comme attentatoire à la liberté d’expression.
Avant toute chose, il fallait assurer l’ordre. On convoqua les ministres, on écouta leurs explications. Chambon, le maire, fut mandé ainsi que Santerre. La plus grande partie de la journée se passa de la sorte à décréter que les barrières demeureraient ouvertes, que les fédérés présents à Paris renforceraient la garde nationale dans son service, qu’un appel serait lancé pour démentir les faux bruits et rassurer la population. La nuit tombait, on en était à disputer sur la fermeture des théâtres, lorsque Danton, visible comme une enseigne dans son habit couleur de sang, apparut à l’entrée de la piste. Un moment, il resta planté là, secouant avec ironie sa grosse tête. Puis, s’avançant, la main levée pour demander la parole, il tonna : « Je vous l’avouerai, citoyens, je croyais que vous deviez donner une tragédie en spectacle à l’Europe. Je croyais qu’aujourd’hui vous deviez faire tomber sous la hache des lois la tête du tyran, et c’est d’une misérable comédie que vous vous occupez !
— Il s’agit de la liberté ! lui répondit-on.
— Oui, il s’agit de la liberté, reprit-il. Aussi je demande que la Convention prononce sur le sort de Louis sans désemparer. »
Aux acclamations des tribunes, la proposition fut votée aussitôt. Un député breton soulevant la question de la majorité, Lanjuinais déclara qu’elle devrait être au moins des deux tiers, comme pour les verdicts des tribunaux. Danton reprit la parole : « C’est à la simple majorité que nous avons aboli la royauté, proclamé la république, déclaré la guerre, prononcé sur le sort de toute une nation, et vous voudriez d’autres formes pour statuer sur le sort d’un simple individu, d’un conspirateur ! Vous ne pouvez, vous ne devez prononcer ici qu’à la majorité parlementaire. » Le public applaudit vigoureusement. Lanjuinais n’en protesta pas moins : « Vous avez rejeté toutes les garanties que la justice et certainement l’humanité réclamaient : la récusation, la forme secrète du scrutin, protectrice des consciences. On paraît délibérer ici dans une Convention libre, mais c’est sous les poignards et les canons des factieux ! »
Cet appel ne fut point entendu, la gauche et la droite s’unirent pour décréter que la sentence serait rendue à la majorité ordinaire. Une seule voix suffirait donc pour sauver ou tuer Louis XVI. Le scrutin commencerait à huit heures et se poursuivrait sans interruption. On y passerait assurément toute la nuit, sinon davantage. La plupart des représentants, logés dans les environs, sortirent. Les gens, dans les couloirs, se bousculaient pour aller répandre la nouvelle çà et là.
Lorsque Claude revint, la densité de la foule s’était encore accrue en même temps que la tension. Les chants vengeurs, le Ça ira, le refrain de la Marseillaise, la Carmagnole, redoublaient. Il s’y mêlait des cris de mort. La rumeur du peuple en ébullition s’enflait redoutablement.
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