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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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bannissement, la détention, se succédaient en nombre à peu près égal, semblait-il. Legendre pointait de nouveau. Jusqu’à présent, les appelés étaient des représentants obscurs dont l’opinion comptait beaucoup mais n’intéressait guère le public. On attendait les illustres. Le temps s’éternisait, la veille se faisait lourde dans cette touffeur moite et endormante. La chaleur se condensait en eau qui ruisselait sur les hautes fenêtres obscures. Onze heures. Minuit. Billaud-Varenne ronflait, sa perruque naufragée sur l’oreille. L’odeur des oranges que pelait Robespierre luttait avec celle de la cire brûlant ras dans les quinquets. Des huissiers s’affairaient à remplacer les bougies. Les garçons du restaurant, du limonadier et du café Hottot circulaient dans les loges avec des plateaux de fruits, de sorbets au marasquin, des glaces, destinés à rafraîchir les femmes rieuses, caquetantes, enguirlandées de rubans tricolores, qui recevaient les visites de leurs amis girondins ou montagnards et faisaient des paris sur la vie ou la mort du roi. Elles n’étaient point les seules, dans tous les cafés voisins on jouait là-dessus. Elles n’interrompaient leurs badinages et leurs rires que pour piquer sur une carte, avec une épingle, les votes tombant de la tribune. Dans la loge du Conseil général, une autre femme, grande, maigre et fort laide : la Mère Duchesne, femme d’Hébert, ci-devant religieuse dont il avait fait connaissance à la Société Fraternelle des deux Sexes, donnait aux frères et sœurs des sociétés populaires le signal des murmures quand elle n’entendait pas prononcer la mort. Danton devait parler de la Belgique à la belle Théroigne près de laquelle il se tenait, avec la petite M me  Robert et plusieurs Cordeliers. Après quoi on le vit penché par-dessus l’épaule de M me  de Buffon, la favorite de Philippe Égalité. Très peu de députés restaient à leurs places. Outre le courant, lent mais ininterrompu, de ceux qui montaient à la tribune ou en descendaient, il y avait, dans la piste encombrée, un mouvement continuel, des allées et venues, des groupes qui se défaisaient et se refaisaient sans cesse. Des représentants passaient de l’un à l’autre, échangeant à voix basse quelques mots avec des collègues, s’asseyaient pour écrire sur leurs genoux, biffaient, récrivaient, jusqu’à ce que l’appel de leur nom, les surprenant dans cette hésitation, leur arrachât un vote qu’une minute de plus aurait peut-être remplacé par l’opinion contraire. Au pied de la tribune, une poignée de Jacobins et de Cordeliers, parmi lesquels Saint-Fargeau et Tallien se distinguaient par leur ardeur, exhortaient les indécis. Seul tout en haut de la Montagne, Marat, dans sa carmagnole à revers de peau de tigre, un mouchoir rouge noué autour de la tête, contemplait ce spectacle avec un air de dédain.
    La rumeur du Manège s’enfla soudain puis se tut. Les somnolents s’éveillèrent. Tout le monde s’était immobilisé. On venait d’appeler le département de la Gironde. Vergniaud, quittant son fauteuil, traversait la piste, prenait lentement place à la tribune. Au milieu du silence, de la suspension fiévreuse, il se recueillit un instant. Rouvrant les yeux, il dit d’une voix sourde : « La mort. »
    Un énorme soupir de la salle lui répondit : soulagement et triomphe chez les uns, consternation chez ceux qui gardaient encore un espoir pour le roi. Vergniaud avait confié à des amis, la veille, qu’il ne voterait jamais la mort, dût-il être seul de son avis. Or, cet avis commandait ceux des députés de la Gironde, des Brissotins, des Rolandistes, de maint modéré. Un demi-sourire froid et méprisant étira les lèvres de Robespierre. Il jeta un regard à Claude stupéfait. Vergniaud s’expliquait : « Il n’est pas permis d’hésiter sur la peine, la loi parle. Mais en prononçant ce jugement terrible, inquiet sur le sort de ma patrie, sur les dangers qui menacent la liberté, sur tout le sang qui peut être versé comme conséquence de cette exécution, je m’associe au vœu de Mailhe et je demande qu’il soit soumis à une délibération de l’Assemblée. » Il précisa toutefois que son vote demeurait indépendant de l’acceptation ou du refus de ce sursis.
    Trois heures. Quatre heures du matin. Le défilé se continuait, interminable, dans une torpeur qui pesait maintenant sur la salle entre les éclats d’un

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