Les autels de la peur
gardes nationales belges. Dumouriez le lui confirma et le reçut très bien. Bernard se demandait si cette mission ne cachait pas un dessein de le tenir à l’écart. Avec ses remuements perpétuels, Danton ne lui inspirait nulle confiance. Grâce à ses combinaisons de haute politique, on avait maintenant sur le dos les cinquante mille Prussiens épargnés après Valmy. Il s’était fait, comme un naïf, brissoter par le roi de Prusse, ce qui ne devait pas l’empêcher de manigancer encore quelque marchandage. Quant au petit vieux Dumouriez, il ne dissimulait plus qu’à peine ses sentiments contre-révolutionnaires. Dans son état-major, on parlait avec dédain de Paris gouverné par la populace, des conventionnels imbéciles qui s’en laissaient imposer par cette plèbe, et de la nécessité d’aller y mettre bon ordre. Outré et inquiet, Bernard se hâta d’informer Claude afin qu’il avisât, avec Robespierre.
Avant que cette lettre ne fût à Paris, Danton s’y trouvait lui-même, le 8 mars, dépêché avec Delacroix par les commissaires réunis à Bruxelles. Les deux envoyés se rendirent tout droit à la Convention où Danton reparaissait pour la première fois depuis six semaines. Delacroix brossa un tableau du péril militaire et réclama de grandes mesures. Danton parut à la tribune, sombre et résolu. « Nous avons, dit-il, fait plusieurs fois l’expérience que tel est le caractère français qu’il lui faut des dangers pour retrouver toute son énergie. Eh bien, ce moment est arrivé. Oui, il faut le dire à la France entière. Si vous ne volez pas au secours de vos frères de la Belgique, si Dumouriez est enveloppé, si son armée est obligée de mettre bas les armes, quels seraient les incalculables malheurs de ces événements ! Citoyens, vous n’avez pas une minute à perdre. Il faut que derechef Paris donne à la France l’impulsion qui, l’année précédente, a enfanté des triomphes. Demandez à Paris trente mille hommes, envoyez-les à Dumouriez, et la Belgique nous est assurée, la Hollande est conquise. » Il proposa que des commissaires fussent adressés aux sections parisiennes et aux départements, pour hâter le recrutement par tous les moyens. On vota aussitôt sa motion et on l’exécuta séance tenante. Claude, en particulier, fut désigné pour se rendre, le soir même, à la section des Quinze-Vingts. On décida en outre de fermer les spectacles et d’arborer à l’Hôtel de ville le drapeau noir. Après quoi, Danton, devant le Comité de défense générale, plaida pour Dumouriez, disant qu’il n’était sans doute pas chaud révolutionnaire mais qu’il était bon général, qu’on n’en avait d’ailleurs pas d’autre, et qu’il répondait de lui, au moins pour le moment.
Le soir, Claude, sortant de la rue Saint-Nicaise et tournant au pan coupé où il avait vu, en juillet dernier, le manifeste de Brunswick, trouva devant l’église des Quinze-Vingts une foule fort émue. Les nouvelles, parties du Manège, le drapeau noir, avaient frappé les esprits. Claude, accueilli au bureau, n’eut point de peine à enflammer les sentiments patriotiques. Ses exhortations furent bien reçues. Cependant, il vit alors se renouveler le phénomène provoqué en septembre par l’annonce de la prise de Longwy et du péril de Verdun. Un citoyen se leva dans l’assemblée pour déclarer que si l’on voulait bien courir sus à l’ennemi, on n’entendait pas laisser derrière soi des conspirateurs prêts à égorger les familles des absents. D’autres voix approuvèrent, clamant : « Oui, débarrassez-nous d’abord des factieux et des affameurs, ou nous nous en déferons nous-mêmes ! » Des orateurs plus sages dirent que si l’on voulait éviter de nouveaux massacres, il était urgent d’organiser une répression légale, afin d’atteindre impitoyablement les contre-révolutionnaires, les réfractaires, les conspirateurs, qui trouvaient refuge et complicité chez beaucoup de modérantistes et menaçaient au dedans la Révolution. Il fallait suspendre le glaive de la loi sur les généraux tièdes ou émules de La Fayette, sur les mauvais ministres, les députés infidèles, dont les agissements remettaient la nation en péril. Claude entendit également des revendications d’une autre sorte. Il n’était pas juste, déclarait-on, que les riches égoïstes, auxquels le régime importait peu, et qui se gardaient bien de s’enrôler, demeurassent plus
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