Les autels de la peur
longtemps étrangers à la chose publique. En conséquence, ne payant pas de leur personne, ils devaient payer de leur argent. Pourquoi ne les frappait-on pas d’une taxe proportionnée à leurs moyens ?
Claude alla rapporter ces plaintes aux Jacobins. Bien qu’elles fussent dans l’air depuis longtemps, répandues par Leclerc, Varlet et Jacques Roux, elles s’exprimaient pour la première fois avec un ensemble très significatif : en effet, à peu près toutes les sections avaient tenu le même langage aux commissaires. Claude n’hésita pas à faire sien ce double vœu. La taxe sur les riches, il la réclamait déjà en 89, à Limoges, quand il n’était pas encore député, et la répression rapide, énergique, de toute menée contre-nationale lui apparaissait comme le seul moyen d’éviter le renouvellement des boucheries de septembre, qu’il ne voulait revoir à aucun prix. Elles ne se fussent point produites si le tribunal du 17 août eût été efficace. Il ne pouvait l’être, pas plus que les tribunaux criminels ordinaires, Claude le savait par expérience, car les robins qui les composaient y conservaient les usages chicaniers de l’ancien régime. Certes, il fallait garder à la défense toutes garanties, mais rendre impossibles les atermoiements et faux-fuyants de procédure. Unanime, le club se prononça pour la création d’un nouveau tribunal extraordinaire jugeant sans appel.
Tel fut également le vœu des délégations qui ne cessèrent de défiler au Manège durant la journée du 9. Pache vint, avec une délégation du Conseil général de la Commune, confirmer le dévouement des sections et l’expression de leur volonté constante : le tribunal, la contribution des riches. Parmi les pétitionnaires, d’aucuns, reprenant le refrain des Enragés, demandaient une loi contre les accapareurs et l’établissement du maximum pour les prix des denrées.
Quand on aborda la discussion, malgré les efforts de Guadet, Valazé, Lanjuinais et quelques autres buzotins, la majorité décréta l’institution d’un tribunal criminel extraordinaire pour juger sans appel, sans recours au tribunal de cassation, les conspirateurs et les contre-révolutionnaires, monopoleurs ou autres. Le Comité de législation fut chargé de présenter un projet dès le lendemain. On vota également une contribution extraordinaire de guerre, frappant les riches. Danton fit ensuite décider l’envoi dans chaque département de deux commissaires pour accélérer le recrutement, désarmer les hommes qui ne partaient pas, arrêter les suspects, réquisitionner les chevaux de luxe, prendre toute mesure nécessitée par les circonstances.
En sortant, Claude et ses collègues de Limoges s’émurent d’apprendre que Gorsas, leur compatriote, venait d’être assailli par une bande d’individus armés de pistolets et de sabres, auxquels il avait pu échapper en combattant. Ils s’étaient vengés en brisant ses presses. L’imprimerie d’un autre journal brissotin avait été ravagée de même. L’un des meneurs était Lazouski, disait-on. Paris, ce soir, sentait l’émeute.
Ce fut pis le lendemain, dimanche. Des rassemblements se formaient aux portes des assemblées de section et autour du Manège quand Claude s’y rendit. Les sans-culottes occupaient toutes les tribunes dont ils avaient chassé les femmes. Beaucoup étaient armés. La séance commença par une déclaration de Danton, assez surprenante pour ceux qui avaient suivi sa pensée en matière étrangère. Claude en demeura interloqué. Renversant du tout au tout sa ligne de conduite, l’homme qui avait si longtemps ménagé le cabinet de Saint-James et entretenu des relations plus ou moins secrètes avec l’entourage du prince régent, désigna l’Angleterre comme l’ennemi essentiel. On était Rome, elle était Carthage. Delenda est Carthago. Comment la réduire ? En frappant son commerce, en la ramenant à elle-même, en lui fermant ses débouchés continentaux. « Prenons la Hollande, et Carthage est à nous ! Affamée, l’Angleterre renversera Pitt et nous tendrons une main fraternelle aux républicains anglais. Pour vaincre, poursuivit-il, il ne nous faut que des hommes et la France en regorge. Que vos commissaires partent à l’instant, qu’ils partent cette nuit, et qu’ils disent aux riches : il faut que vos richesses payent nos efforts. Le peuple n’a que du sang, il le prodigue. Allons, misérables, prodiguez vos richesses…
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