Les autels de la peur
simplement que l’entrevue n’avait produit aucun résultat. Parbleu ! Danton ne pouvait plus trouver d’amis à droite.
On le lui fit bien voir. Deux jours plus tard, l’ancien pasteur Lasource, ci-devant Montagnard tourné à la Gironde, lançait nettement contre lui l’accusation de complicité avec Dumouriez. Danton y répondit avec assez de calme, montrant qu’il avait agi en accord avec le Comité de Défense et toute la Convention, pour ne point contrecarrer le général en pleine action de guerre. La modération même de cette réponse induisit Lasource à croire son adversaire embarrassé. Remontant à la tribune, il entreprit, dans son style académique, de l’achever en précisant l’accusation. Dumouriez voulait rétablir la royauté après avoir dissous la Convention nationale, Danton et Delacroix étaient ses complices, « tenant, l’un en Belgique, l’autre à Paris, les deux extrémités du fil de la conjuration ».
Les Brissotins n’avaient pas eu seuls ce soupçon qui s’était glissé en Claude lui-même. L’Assemblée suivait la lutte en silence, férocement prête à dévorer le vaincu quel qu’il dût être. Immobile à son banc, Danton ne protestait pas, mais, relevant sa lèvre avec cette expression de mépris qui lui était propre, il inspirait une sorte d’effroi. Son regard annonçait tout ensemble la colère et le dédain. Son attitude contrastait avec les mouvements de son visage, et Claude voyait, dans ce bizarre mélange de calme et d’agitation, qu’il n’interrompait pas le girondin parce qu’il était certain de l’écraser. « Les scélérats ! se contenta-t-il de dire sans hausser la voix. Ils voudraient rejeter leur crime sur nous. »
Lasource conclut en demandant une commission d’enquête, puis céda la place à Biroteau, qui semblait en savoir bien plus que Claude sur les tractations secrètes des dantonistes. Il accusa leur chef de tendre au rétablissement de la monarchie. « Fabre d’Églantine a déclaré, un jour, que Danton seul sauverait la patrie et que la France avait besoin d’un roi. »
Alors Danton, atteint au vif, rugit : « Vous êtes des coquins ! C’est vous qui avez pris la défense du roi. La France vous jugera, un jour. »
L’orage habituel se déchaîna sur ces mots. De part et d’autre, on s’invectivait, debout. Pourtant le calme se rétablit assez vite tandis que Delmas déclarait : « Moi aussi, j’ai fait des rapprochements, j’ai eu des soupçons. Mais cette dispute perd la patrie. Je demande que, toute discussion cessant à l’instant même, vous décrétiez la commission proposée par Lasource. »
C’était sage, cependant cela n’en ressemblait pas moins à une mise en accusation de Delacroix et Danton. Il protesta, demandant à être entendu avant le renvoi. « Vous le serez à la commission », répondit la droite pendant que la gauche se remettait à hurler. Lasource avait néanmoins remporté la victoire : la majorité décréta l’établissement d’une commission extraordinaire chargée d’examiner la conduite des commissaires en Belgique et de découvrir toute trace de conjuration. Battu, Danton s’écartait du pied de la tribune pour regagner sa place. Tous les Montagnards, dressés, l’encourageant du geste, lui crièrent : « Parle, Danton ! Parle ! »
Il remplit sa poitrine et, d’une voix formidable qui couvrit tous les bruits, lança son tonnerre sur la Gironde : « Lâches ! vous voulez vous débarrasser des patriotes ! Le peuple ne s’y trompera pas, la Montagne vous écrasera. »
C’est alors que la tempête secoua le Manège. Une tornade de hurlements, où les applaudissements frénétiques de la gauche et des tribunes, les piétinements enragés des galeries couvraient les cris de la droite, les protestations de la Plaine, la sonnette du président. Les grandes fenêtres vibraient comme au jour de la canonnade, la poussière tourbillonnait dans les rais du soleil. Les représentants qui dégringolaient des banquettes pour se ruer dans la piste, les huissiers, les inspecteurs, formaient des tourbillons. Effrayé par ce qu’il avait déclenché, l’académique Lasource recula. Il cherchait à se faire entendre. On comprit enfin qu’il proposait d’écouter Danton. Les députés entourant la tribune crièrent : « Silence ! Danton va parler. » En un instant, tout se tut dans un énorme « Ah ! » de soulagement et d’excitation. On reprit place.
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