Les autels de la peur
trompaient par leurs calomnies. Enfin, ils s’étaient opposés à la mort du tyran, sans craindre non plus de provoquer la guerre civile par l’agitation des assemblées primaires.
« Cette faction, poursuivait Robespierre, est la seule cause de la guerre désastreuse que nous soutenons. Elle l’a voulue pour nous soumettre à l’invasion de l’Autriche qui promettait un congrès avec la constitution bourgeoise de 91. Elle a dirigé cette guerre avec perfidie, et, après s’être servie du traître La Fayette, elle s’est servie du traître Dumouriez, pour arriver au but qu’elle poursuit depuis si longtemps… Elle l’avait autrefois porté au ministère par Gensonné, son ami, et elle lui avait fait allouer six millions de dépenses secrètes… Dumouriez, s’entendant avec la faction, a sauvé les Prussiens dans l’Argonne, tandis qu’il aurait pu les anéantir. En Belgique, à la vérité, il a remporté une victoire, incomplète mais frappante, mais il la lui fallait pour obtenir la confiance publique, et quand il l’a eue il en a abusé de toutes les manières. »
À entendre Maximilien, la Gironde avait volontairement provoqué les désordres en Belgique par des agents désorganisateurs, « pour déshonorer la cause républicaine », et entretenu le dénuement de l’armée, la séparation entre les volontaires et les troupes de ligne.
« C’est Miranda, continua-t-il, Miranda, l’ami de Pétion, de Brissot, qui, par sa retraite, décida la perte de la bataille de Neerwinden. Dumouriez lève l’étendard de la révolte au moment même où la faction excite les soulèvements du royalisme dans l’Ouest. Ainsi rien n’avait été négligé pour le succès de la conspiration. Il fallait un roi, mais les généraux appartenaient tous à Égalité. Sa famille : ses fils, sa fille, jusqu’à l’intrigante Sillery, étaient rangés autour de Dumouriez. Il commence par des manifestes, et que dit-il ? Tout ce que les orateurs et les écrivains de la faction répètent à la tribune et dans les journaux : que la Convention est composée de scélérats, à part une petite portion saine ; que les Jacobins sont des désorganisateurs prêchant le trouble et la guerre civile…»
Pour Claude, ce discours n’offrait rien de solide en ce qui concernait les Girondins. À la rigueur, Brissot, républicain sous la royauté, monarchiste de cœur sous la République, eût été assez brouillon pour tremper dans une intrigue. Peut-être aussi Pétion et Condorcet. Hormis ces trois-là, on eût bien plus raisonnablement soupçonné Danton, que Vergniaud, Guadet, Gensonné, de s’être embarqué avec le général dans quelque aventure monarchique. Cette fantasmagorie de complot girondiste machiavéliquement mené depuis le début de la Législative n’appartenait qu’aux obsessions de Maximilien. Du reste, Vergniaud, avec autant d’éloquence que de bon sens, était en train de justifier parfaitement ses amis, en répondant point pour point à Monsieur Robespierre.
En revanche, tout le début du réquisitoire dressé contre eux montrait une vérité profonde, irréfutable. La vérité même dont il avait, lui, Claude, pris conscience à Limoges, dès l’automne de 88. La vérité dont il était convaincu en montant dans la diligence qui l’emportait vers les États généraux : à savoir que la résistance la plus vaniteuse et la plus égoïste à l’établissement d’un régime de liberté, d’égalité, de fraternité, un régime vraiment démocratique, viendrait plus encore d’une partie du tiers état que de la noblesse. Non, les Brissotins n’avaient assurément ourdi aucun complot – ni, avant eux, Montaudon et ses amis feuillants, ni Barnave et les triumvirs –, aucune trame perfide. Leurs fautes, à tous, émanaient uniquement de leur incapacité démocratique. Leur conjuration sans conspirateurs était celle de la bourgeoisie imbue de sa supériorité en talents, en capacités, en moralité, sur le menu peuple tout juste bon à servir des maîtres, à travailler, à se battre : de la bourgeoisie vaniteuse et follement prodigue des Naurissane, jalouse et ambitieuse des Lamy d’Estaillac et des Mailhard de Lalande, âpre au gain et autoritaire comme les Delmay parmi lesquels Bernard faisait singulièrement exception. Mais cette conjuration de l’instinct était plus mortelle, plus condamnable, que le pire complot, car elle mettait un poison dans les racines mêmes de la
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