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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Danton montait à la tribune. Il s’y tint, un temps, immobile, dominant en lui le tremblement de la colère. Il secouait sa grosse tête blonde et rougeaude, et à son expression, à son regard, Claude comprit que, cette fois, l’heure des ménagements était passée.
    Danton se tourna vers la gauche, leva lentement la main. « Je dois, dit-il, commencer par vous rendre hommage, comme aux vrais amis du salut du peuple, citoyens qui vous êtes placés sur cette Montagne. Vous avez mieux jugé que moi. » Déjà salué d’applaudissements à cet exorde, il poursuivit d’un ton frémissant qui s’amplifiait : « J’ai cru longtemps que, quelle que fût l’impétuosité de mon caractère, je devais tempérer les moyens que la nature m’a départis, je devais employer, dans les circonstances difficiles où m’a placé ma mission, la modération que m’ont paru commander les événements. Vous m’accusiez de faiblesse. Vous aviez raison, je le reconnais devant la France entière. » Sa voix, à présent tonnante, dominait les applaudissements, les protestations de la Gironde, tandis qu’il s’indignait d’être dénoncé aujourd’hui par « les mêmes hommes qui ont voulu sauver le tyran. Pourquoi abandonné-je mon système de silence et de modération ? Parce qu’il est un terme à la prudence, parce que, quand on se voit attaqué par ceux-là qui auraient dû s’applaudir de ma circonspection, il est permis d’attaquer à son tour et de sortir des limites de la patience ». L’Assemblée en grande majorité l’applaudit. Reprenant une à une les allégations de Lasource et de Biroteau, il s’en justifia très adroitement, relança aux Brissotins leurs propres flèches envenimées, les accusa d’avoir inspiré à Dumouriez son dessein de restauration monarchique, d’avoir exaspéré le général contre les sociétés populaires. Frappant alors au plus vulnérable, il les traita de fédéralistes, dit qu’ils divisaient la France, qu’ils avaient dressé les départements contre Paris.
    « Écoutez, écoutez, clama-t-il enfin en développant toute sa stature.
    — Écoutez ! glapissait Marat.
    — Voulez-vous entendre un mot qui paie pour tout ?
    — Oui, oui !
    — Eh bien, je crois qu’il n’est plus de trêve entre la Montagne, entre les patriotes qui ont voulu la mort du tyran, et les lâches qui, en voulant le sauver, nous ont calomniés dans la France entière. Plus de composition avec eux ! »
    À peine eut-il quitté la tribune, il fut enlevé par les Jacobins impatients de le féliciter, de l’embrasser. Ils triomphaient. Marat exultait. Les girondistes pouvaient mesurer leur faute. Elle atterrait le centre qui avait toujours, au fond, tenu Danton pour l’un des siens, quoique siégeant sur la Montagne. L’homme de l’audace, certes, mais aussi de la modération malgré ses coups de gueule, et qui, par sa souplesse, ses balancements mêmes, fournissait un équilibre à l’Assemblée.
    C’était mal le connaître que de le croire susceptible de devenir maratiste par un mouvement de colère. Dès les premières réunions du Comité de Salut public, dans ces dramatiques semaines d’avril, on vit bien qu’en dépit de sa nouvelle détermination, de la rigueur exigée par les circonstances, Danton n’adoptait nullement cette violence prônée par Marat. « Rapprochons-nous. Rapprochons-nous fraternellement, il y va du salut de tous, disait-il. Si la coalition triomphe, elle proscrira tout ce qui aura porté le nom de patriote, quelles qu’aient été les nuances. » Ou encore, à la tribune de la Convention : « Comment se fait-il que nous ne composions pas une seule et même phalange, puisqu’il faudra périr tous ou tous sauver la République ! » Mais, dans cette même séance, Guadet traitait Marat de crapaud, et Marat lui répliquait : « Vil oiseau, tais-toi ! » Le lendemain, le brissotin Duperret, au comble de la fureur, dégainant la lame d’une canne à épée, s’élançait vers la Montagne où Calon l’arrêtait en le visant avec un pistolet, prêt à faire feu. On en était là, c’est-à-dire à l’anarchie complète dans le temple même des lois, à la paralysie au milieu de tous les périls.
    Puisque les tentatives d’union n’avaient servi à rien, il fallait en finir d’une façon ou d’une autre avec la Gironde, ou la France périssait. Les sections, et non plus seulement quelques agitateurs, le proclamaient journellement.

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